Là – Haut…, Au pays arc-en-ciel
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Dernier souvenir de la Thaïlande, coût : 50 euros. À la frontière thaïlandaise, il paraîtrait qu’il nous manque un papier relatif au véhicule et que nous aurions du recevoir de la part de la douane thaïlandaise, à l’entrée. Le vieux gars galonné, seul dans son bureau et antipathique comme une porte nous réclame une amende de plus de 100 euros ! Bien-sûr on proteste ; j’argumente que nous ne devons pas payer pour leur erreur professionnelle : c’est eux qui ne nous ont pas donné ce papier (même si après nous nous sommes bien rendus compte que nous aurions du avoir ce document) !
À côté de son bureau, à l’extérieur, il y a un écriteau en thaï traduit en anglais. Il nous dit de regarder cet écriteau qui prouverait la légitimité de ses exigences. Mais moi, je n’y lis rien relatif à ce document et alors que le colonel insiste « regardez…, ils disent : si la personne n’a pas le papier, elle doit payer 100 euros… », je ne vois, dans la traduction anglaise du moins, aucun chiffre. « Bon, vous pouvez payer que 50 euros », finit-il par avancer, bon prince, devant notre désarroi feint qui cachait plutôt une grosse indignation. « C’est écrit…que…on peut aussi payer que 50 euros… », continue-t-il.
Mais comme il fallait payer en bahts (monnaie thaïe), on se hasarde : « Mais nous n’avons pas tout cet argent ! On a liquidé tous nos bahts car on pensait partir, on a seulement l’équivalent de 25 euros… ! ». Ce n’est pas vrai évidemment. Il ne se laisse pas prendre au jeu : « Il y a un bancontact si vous prenez la rue, en haut, à droite », dit-il.
Un bancontact ici !! Il n’y a que la jungle et des chemins de terre boueuse à la ronde ! Bredouilles, on remonte dans la camionnette et on fait semblant d’aller à ce foutu bancontact. Finalement, on ne saura pas s’il existe vraiment car on s’arrête au coin de la rue, hors de sa vision, et on attend quelques minutes avant de redescendre.
Les collines arrondissent l’horizon et devant elles, le vert des rizières s’étend comme un tapis très propre.
Les maisons se font rares, en fait il n’y en a pas, mais bien, de temps à autre, des petites cabanes en bois et paille.
Soudain le choc. Un village et nous voilà dans un autre monde. Un monde là-haut, un monde lointain. Au bord des routes sinueuses qui montent le long du ravin, si petits dans cette immensité verte, tombés comme une route de rosée au creux de cette nature douce, des enfants nus. Ils nous regardent un peu terrifiés du bord de la route quand ils ne marchent pas vers le lointain chargés d’un sac d’herbe ou de petit bois. Vu ce qui va dans leurs yeux à notre approche, on a la pudeur de ne pas les photographier et je pense que c’est bien.
Une fois, des plus grands s’arrêtent sur le bord de la route pour nous voir passer alors, nous nous arrêtons aussi et sortons l’appareil photo. On demande, avec des gestes, si on peut faire une photo, mais la moitié du groupe - les plus petits - s’étaient déjà jetés, avec un désespoir inouï, dans les fourrés.
Notre passage semble, et semblera tout au long de la route du Laos, effrayer ou bousculer le monde là-haut. Les gens, les enfants la plupart du temps, se cachent à notre passage ou se couvrent les oreilles. On fait vraiment trop de bruit. Personnellement, je sens que la distance entre moi et « eux » est plus grande que celle éprouvée n’importe où ailleurs. Comment établir le lien dans ce cas ? Il me semble déjà qu’ils passent dans ma vie comme un tableau magnifique, mais dont je ne possède pas la formule qui me permettrait d’y rentrer telle que je suis, sans rien à prendre, ni rien à offrir.
C’est parce que ce point d’intersection magique - qui est la Rencontre – semble si difficile à trouver que je ne ferais pas beaucoup de photographies de personnes. Je ne dis pas qu’il faut obligatoirement connaître quelqu’un pour la photographier. Mais on ne photographie pas un regard que notre présence apeure ou violente. Beaucoup de « touristes » l’oublient : l’appareil photo est une arme qui nous positionnera souvent du côté de la force.
Les êtres humains, même là-haut et même si leur beauté nous sidère, ne sont ni des cartes postales, ni des trophées.
Le voilà, enfin, le fleuve-roi d’Asie du Sud-Est : le Mékong.
Après le vert agate de l’Indus qui nous a accompagnés sur une bonne partie de la route, nous nous rinçons les yeux dans le fleuve brun.
Cela peut être aussi une frontière naturelle, comme ici. Il faut amener le camion sur l’autre rive, à Pakbeng, sur le bateau. Prions pour que ça tienne.
À Pakbeng on se dit : voilà un village au milieu de nulle part. Celui-ci est constitué d’une route unique avec vue sur le Mékong, courue par les enfants et où s’alignent échoppes et petites maisons. Dans une montée, Vinh voit un touriste, content de sa trouvaille et pris de fraternité, il lui fait un grand signe « hello ! ». Voilà la descente et voilà…des dizaines de touristes, des guesthouses mignons, des restaurants qui brillent de mille feux et couleurs…!
Nous pensions qu’il serait difficile de trouver un bivouac dans cette rue unique cousue d’un fil de maisons alignées, collées les unes aux autres. Finalement, l’office du tourisme a un petit parking. C’est le grand luxe : pleine vue sur le roi des fleuves et la jungle tropicale.
Nous rentrons à l’office du tourisme où il n’y a personne pour nous recevoir. J’apprends juste, dans une pancarte explicative, qu’il ne faut pas accompagner notre salut à un laotien, d’un sourire et d’une trop grande marque de familiarité. Oups !...Je n’ai pas arrêté de le faire. Mais comment faire pour ne pas sourire à quelqu’un quand on voudrait lui ouvrir notre cœur ? Cela me semble tellement « naturel »…Je me souviens néanmoins, que pratiquement tous m’on rendu mon sourire et il n’y avait rien de forcé.
On fait un tour dans le village puis, parmi les multiples bars et restaurants on en choisit un pour fêter notre arrivée au Laos avec une première bière laotienne.
Finalement, nous en boirons plus d’une.
Qui ne voit-on pas arriver, sourire jusqu’aux oreilles et rouge pivoine ?? C’est Tiago, et Joana ! Vous vous souvenez ? Les portugais avec qui nous avions passé une chouette soirée au Chinatown de Bangkok !
De toute apparence, Tiago a déjà bien fêté les heures précédentes… Disons que la photo ci-dessous est aussi brouillée que son esprit cette soirée là :
Avant d’aller plus loin dans l’exploration du Laos, ce serait peut-être utile de parler de ses gens qui lui donnent, en grande partie, ses multiples couleurs.
D’une superficie grande comme environ la moitié de la France, mais avec près de 5 millions d’habitants, le Laos est un des pays les plus dépeuplés du Sud-Est asiatique (17 habitants par km2). Il est peuplé par 80 ethnies, que l’on peut regrouper en 4 familles. Chacune de ces ethnies parle son propre dialecte, possède ses coutumes propres, ses traditions, sa religion, etc.
- Laos Thais (ou Laos Loum des Basses Terres) : cette famille représente 75% de la population et comprendrait 23 ethnies
- Laos Theung (des Terres de Moyenne Altitude) : appelés aussi proto-chinois, on dénombre 58 ethnies différentes
- Laos Soung (vivant dans les Montagnes au-dessus de 1000 mètres) : notamment les Hmongs et les Yaos
- Les autres asiatiques
D’après le site officiel qui me sert de source, cette répartition serait reflétée par les institutions politiques du pays puisque la répartition ethnique des 99 députés est la suivante (parlement en 2004) : 64 "Lao Loum" (Laotiens des plaines), 26 "Lao Theung (Laotiens des plateaux), 9 "Lao Soung" (Laotiens des sommets).
Pakbeng – Muong Sai :
En se dirigeant vers Muong Sai, nous foulons la province d’Oudomxai, carrefour entre les routes menant vers Luang Namtha et Bokéo à l'ouest, Phongsali et la frontière vietnamienne à l'est peuplée par plus de 23 groupes ethniques dont les Hmong, Iko, Khamu, Tai Lu, Tai Deng, Lamet, Tai Dam...,. Essentiellement montagneuse, Oudomxai est encerclée par Luang Prabang, Phongsaly, Sayaboury et…la Chine.
En direction de Muong Sai la route est étroite et bordée par une végétation luxuriante, des rizières travaillées au peigne fin et brillant comme des lames sous les nuages bleus, surveillée par des gros buffles gris aux longues cornes intimidantes mais au regard ami. Des maisonnettes dont les murs sont faits en une espèce d’osier tressé, des larges feuilles séchées, ou de la paille pour le toit…et, parfois, une antenne satellite juste à côté.
Après autant de profusion, l’arrivée à la capitale de la province, à Muong Sai, est un peu désolante. On se croirait plutôt à Gilgit - Pakistan -, entourés de montagnes brunes, respirant la sécheresse poussiéreuse des routes, une ville enveloppée de rien, juste quelques maisons sans charme - la plupart des boutiques chinoises, des restaurants ou des guesthouse - et tout cela sous un ciel lourd, gris qui nous gratifie d’une pluie torrentielle.
Débarqués dans un guesthouse/internet café meublé par du bois sculpté et verni comme les chinois aiment. Pas pour dormir, non, mais pour régler quelques choses sur internet. Nous sommes néanmoins soulagés lorsque nous en sortons avec la tête qui bat la chamade. En effet, nous étions tombés en plein repas de famille ; ça a bu, mangé, rigolé et crié à plein poumons pendant des heures. Impossible de parler par skype avec la famille.
Muong Sai est le principal nœud de communication entre la Chine et le Laos : de nombreux commerçants transitent par là. Elle est également au croisement d’une route reliant au Vietnam.
Le Vietnam : de plus en plus présent dans notre ligne de mire.
Nous n’avons pas de guide pour le Laos. Nous voyons néanmoins dans notre carte routière que le village de Muang Sing, au Nord-Ouest, est signalé comme point d’intérêt pour son marché ethnique. En effet, il est situé en plein dans ce qu’on appelle communément le Triangle d’Or. À l'instar du Croissant d'or, regroupant l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan, le Triangle d’Or - regroupant ce coin montagneux du Laos, la Birmanie, et la Thaïlande, certains y incluent même une partie du Vietnam ou le Yunnan chinois - est l'une des principales zones mondiales de production d'opium depuis les années 1950. C’est grâce à cela que la petite ville est devenue un coin éminemment touristique, attirant depuis les ’60 des centaines d’aventuriers des états modifiés de conscience…
Sur place, les principaux consommateurs d’opium sont les vieilles personnes qui soulagent ainsi les nombreuses souffrances qui accompagnent leurs derniers jours après une vie de dur labeur.
Il n’y a pas que les individus qui goûtent à la substance. Les canards aussi semblent s’y adonner au vu de l’insouciance et de la lenteur avec lesquelles la petite famille traverse la route.
Il n’y a pas que les canards qui traversent…Il y a aussi les poules et leurs poussins, les cochons vietnamiens et leurs petits, les chiens, les chats, les grenouilles, les libellules - elles, ne traversent pas, mais se jettent littéralement sur le carreau du camion -, des papillons géants…
Du vert, encore du vert.
Et puis, arrêt dans un village, on se fait des nouilles dans le camion.
Nous sommes juste à côté d’un de ces robinets-fontaines du village dans lesquels chacun vient pour sa toilette quotidienne ou pour faire son linge. Les hommes se lavent en maillot et les femmes s’entourent d’un sareng, espèce de pareo. Aujourd’hui, il y a une petite famille. Comme nous sommes juste à côté, nous essayons de ne pas les mettre mal à l’aise, de ne pas regarder. On entend juste les rires de la petite fille que son père asperge d’eau.
Eux aussi se font discrets. Malgré le va et vient, personne ne s’est arrêté pour nous interpeller, personne n’a manifesté de curiosité par rapport à ce qui nous sert de maison contrairement aux autres pays que nous avions précédemment traversés. À peine un regard en coin, un sourire timide et désintéressé en réponse à notre salut.
Sur la route, au gré des villages tressés dans cette copieuse nature, des visages tracés à la poussière, beaux, présents avec une force à laquelle seul équivaut le courant du fleuve qui baigne leurs existences. Des visages aux yeux perçants, saillants dans ces corps accroupis. Des regards intelligents, parfois candides ; des regards qui s’étirent dans une vaste immensité verte qui caresse les nuages.
Bon, le marché de Muang sing ce n’est pas trop ça. Les chinoiseries industrielles ont certainement remplacé l’artisanat local et ethnique.
Malgré la température plutôt agréable, beaucoup dorment à l’ombre des étals.
C’est dehors que nous avons croisé quelques vendeuses Akha.
L’ethnie des Akha appartient à la catégorie des Laos Soung - ceux dits « d’en haut » qui vivent dans les montagnes (au dessus de 1200 mètres) - à l’instar des Hmongs et des Yao. Ils sont arrivés au Laos au cours de ces 200 dernières années. Leur langue est apparentée au chinois et au Tibéto-Birman. Ils sont toujours nomades ou semi-nomades, même si le gouvernement tente de les sédentariser en les faisant descendre des montagnes sous les prétextes de l’éducation et de la santé. La plupart de cette ethnie se retrouve au nord du pays. Ils sont de grands travailleurs, coriaces au combat (les communistes l’apprendront souvent à leur dépend), et peuvent se targuer d’être parfaitement autosuffisants. Historiquement cultivateurs d’opium, ils ont dans le temps formé une guérilla soutenue par les américains. Ils sont animistes, bouddhistes et parfois chrétiens (depuis le passage des missionnaires français voilà plus d’un siècle). Ils sont des sorciers, des chamanes, ont des traditions et une culture propre.
http://www.luangprabang-laos.com/Les-peuples-tribus-et-ethnies-du.html
À Muang Sing, nous nous en sommes allés pour une balade à vélo. Le temps est clément, il y a une très douce brise de montagne. J’aime ce ciel gris et la menace, toujours présente, de la pluie. La balade ne sera pas très grande, au grand dépit de Vinh, il n’y a rien à faire la selle me fait horriblement mal…Je sais, je suis une chochotte de la pédale.
Alors, après quelques mètres sur un sentier caillouteux, nous nous arrêtons pour que je souffle un peu devant l’immensité verte et brillante d’une rizière. Commence alors un des épisodes humainement des plus intéressants de notre voyage au Laos. C’est difficile à raconter tellement l’atmosphère était unique, particulière…mais essayons.
Je n’ai jamais marché dans une rizière. Je me souviens que ma grand-mère perpétrait presque une tentative de meurtre sur ceux qui s’aventuraient à marcher dans le terrain qu’elle cultivait.. Alors, c’est avec hésitation, que je suis Vinh dans son incursion alors qu’il m’assure qu’il n’y a pas de problème. On ne marche pas dans la rizière, bien-sûr, puisqu’elle est immergée dans l’eau. Mais sur des étroits et boueux sentiers séparant les parcelles et qui menacent de s’écrouler. Vinh est décidé à aller rejoindre les paysans qui travaillent un peu plus loin. Bientôt nous nous retrouvons postés au milieu de cet océan vert. À la croisée de quatre minuscules chemins qui dessinent la rizière, une « construction » faite de fragiles bouts de bois et d’éphémères brindilles que la brise menace à tout moment de démanteler. On dirait les prémisses de ces fameuses maisons des esprits qui invoquent la clémence et la protection des dieux. Je n’ose pas trop faire un pas de plus pour diminuer les quelques mètres qui nous séparent des paysans. J’ai remarqué que les laotiens sont craintifs (?), je n’ai pas envie de forcer un contact et j’avoue, je ne sais pas trop comment m’y prendre avec des personnes qui semblent enfuir leurs têtes au plus profond de leur chapeau. Vinh tente de se rapprocher de la paysanne qui se tient le plus proche de nous. S’ensuit alors un ballet passionnant, une poursuite mystérieuse et subtile un jeu de cache-cache dans une immensité nue. Le silence est la seule et unique cachette d’où seule s’élève une inavouable angoisse : celle de la Rencontre. Pour l’un de ne pas y arriver, pour l’autre de s’y trouver pris.
Je me retire du jeu et au bord du chemin j’assiste à ce qui ressemble beaucoup à un jeu d’échecs : chaque pion poursuivant sa propre stratégie en avançant dans les cases choisies. C’est un jeu plein de suspense puisque l’intersection est proche et, en même temps, si improbable. Et, effectivement, elle n’aura pas lieu.
Sur le chemin du retour, une autre rencontre aura lieu. Des hommes devant une maison préparent un combat de coqs. J’avoue que ce n’est pas une super perspective pour moi, mais Vinh est intéressé.
Deux coqs sont lavés, caressés, massés juste avant la rencontre décisive…et cruelle. Le reste c’est de la boxe thaï version volatile. Des coups de bec, des sauts vertigineux qui soulèvent des huées d’admiration de la part du public supporter, des feintes, des coups de griffe à droite et à gauche, des prises corps-à-corps. L’arbitre doit séparer les coqs lorsque cela s’impose. À la fin, ils ont la crête ensanglantée. Bref, à la fin - on compte environ une demi heure d’affrontement - on ne comprend pas trop qui a gagné. Néanmoins, à notre demande, les organisateurs nous présentent le vainqueur avec une certaine fierté.
En fin de compte, la journée aura été riche en rencontres puisque sur le chemin du retour, on rencontre…Étoile. Sur le bord de la route on aperçoit au dernier moment un bébé chat que l’on aurait pu écraser en roulant. Bon, les chats ce n’est pas ce qui manque sur les routes de ces pays qu’on traverse. On ne peut pas s’attendrir sur chaque créature qui borde les routes sinon on en aurait aussi pour les canards, les poules, les oies, les chiens, les cochons, les grenouilles, etc. Mais, ici, de part et d’autre de la route…la jungle, la forêt épaisse, et à des dizaines de mètres de l’hameau le plus proche. Un chat aussi jeune n’aurait jamais pu parcourir autant de chemin et, la mère, ne se cache sûrement pas dans la jungle pendant tout ce temps où on se penche sur la petite créature. Le chaton est frêle, ses grands yeux verts tristes ressortent de sa tête trop grande pour son corps et, lorsque je me penche pour mieux l’examiner, la créature émet un miaulement faible et dolent. Clairement, nous ne pouvons pas le laisser là. C’est sûr, il a été abandonné. Quel est le plan alors ? …Même si mon petit cœur en sucre s’imagine déjà avoir un nouveau compagnon de voyage qu’il ramènera à la maison, au fond de moi, je sais que ce n’est pas possible. Alors le plan que Vinh et moi convenons à l’avance : requinquer la petite bête pendant 2 jours puis, demander dans un temple s’ils ne veulent pas le garder. On voit assez généralement assez de chiens dans un temple et les bouddhistes sont censés respecter toute forme de vie alors, ce n’est pas parce qu’Etoile a une gueule de travers qu’elle fera l’exception !
Nous faisons les 2 derniers kilomètres à pied : Vinh en tirant les deux vélos, moi en portant le petit chat contre mon ventre. J’essaye de le secouer le moins possible, mais son cou est tellement fragile que sa tête tombe un peu dans tous les sens. Mais, il arrive néanmoins à trouver une position confortable en posant le creux entre son menton et son cou sur mon avant bras qui le transporte. De temps en temps, il pousse un miaulement…j’ai l’impression…de lassitude.
Sur le chemin, les gens que nous croisons nous regardent bizarrement, un peu amusés.
Arrivés dans le camion, je donne un peu de lait dilué au chaton et lui prépare un petit endroit douillet dans une bassine. Puis, petit à petit, je lui donne un peu de thon. Pour voir s’il est sevré et s’il arrive à manger tout seul. Pour ça, pas de problème ! Il dévore, et émet même un emphatique grognement de plaisir et d’impatience à mon intention. Je ne lui donne pas beaucoup à la fois car je sais qu’il n’a pas mangé depuis longtemps. On le laisse se reposer à la maison pendant que nous sortons. Entretemps, j’y fait encore un petit saut pour voir comment il va et le laver un peu car nous l’avons trouvé dans un sale état et je n’ai pas envie qu’il nous ramène des bêtes et des trucs dangereux pour la santé. Mais le bain est sommaire car je vois comment cela le met au supplice..tous les chats allez vous me dire. Oui, mais quand on les sait forts et matous on n’a pas trop le cœur qui pince en les voyant s’énerver un peu. Celui-là était tellement menu, tellement petit !...que je l’ai aspergé à peine de quelques fins filets d’eau et massé avec une petite noix de savon. Après l’avoir bien séché contre moi, il parvient à s’endormir et ronronne même…Je le mets donc dans sa petite boîte et pars rejoindre Vinh.
Le lendemain matin, lorsque nous nous réveillons, nous le retrouvons en très mauvaise forme. Il ne bouge presque plus et a l’air presque mort, le petit nez dans ses excréments…
Je vous épargne les détails, mais bon…j’ai essayé de faire quelque chose..je l’ai amené..à l’hôpital dans une petite boîte. Sur le chemin, il était pris de convulsions et se tordait de douleur. À l’hôpital, bien-sûr, on m’a regardé comme si j’étais complètement passée. Ils ont définitivement perdu leurs moyens lorsque, pas parvenue à me contrôler, j’ai éclaté en pleurs. Je dis « bien-sûr » car ils doivent déjà, dans ce petit village de montagne, avoir bien des soucis à traiter les êtres humains, alors les animaux…Ils n’avaient certainement jamais rencontré la situation qui devait sans doute avoir un petit côté pathétique pour des gens qui ont du devenir insensibles à bien des choses pour pouvoir survivre. J’en ai un peu honte, mais en même temps, j’ai fait ce que mon cœur - encore mou et sensible – m’a dicté de faire. Je ressentais aussi un peu de culpabilité : l’ai-je trop nourri ? Peut-être n’aurais-je pas du le laver ?, etc.
Entretemps, Vinh était allé se renseigner à l’office du tourisme et sans trop savoir on lui a conseillé le bureau de l’agriculture. Nous y avons amené Étoile qui se tordait et gémissait encore de douleur. Là-bas, ils ont plutôt l’habitude des gros animaux, mais bon, on était déjà un peu plus à la bonne place. Ils nous ont dit de leur laisser Étoile, qu’ils auraient le bon médicament le lendemain. Va savoir si c’est vrai. Nous étions un peu obligés de faire confiance alors, nous l’avons laissée endormie, heureusement, dans la petite boîte en carton.
Le cœur lourd, nous sommes partis, décidés à prendre la route de Luang Namtha.
Juste avant, pour se distraire de cette grosse émotion qui me fait encore monter les larmes aux yeux, on décide de prendre quelques instants pour regarder les ouvrages de quelques femmes H’Mong qui nous interpellent. En plus des jolis bracelets artisanaux, entre leurs dents noires et leurs regards sournois, elles nous proposent de fumer de l’opium. Nous déclinons leur offre bien évidemment.
Muanh Sing – Luang Namtha :
Sur la route de Luang Namtha, des enfants jouent à faire rouler un pneu à l’aide d’un bâtonnet. Petit arrêt dans des cascades brunes qui se trouvent au fin fond d’un hameau qui semble peuplé que par des H’Mong avec leur jolie tunique noire, leurs cheveux tressés autour d’un bandeau.
Après la cascade, baignade-bain dans le fleuve là où se lavent les autochtones. La femme H’Mong qui venait d’y faire ses ablutions rigole discrètement en nous voyant en train de tenter d’imiter leur manière de se laver. À cause du courant j’y perds une tongue.
La route est en hauteur et file très près du ciel bleu, des formes puissantes de ses nuages gonflés de pluie et de soleil. Ceux-ci veillent sur les rizières dessinées au peigne fin, des bananiers, des arbres à caoutchouc et l’eau du fleuve fait offrande généreuse de soi en venant abreuver chaque centimètre de ce joli tableau.
La ville de Luang Namtha est petite, mais très vivante. Beaucoup de guesthouses, de petits cafés, de touristes. On commence à se demander s’il n’y a pas un endroit au Laos qui ne le soit pas puisque, même dans ce qui paraît être un « trou perdu » dans la carte, il y a des touristes et les commodités qui vont avec…
Malgré le régime, communiste, quelques vestiges de la colonisation - ou de l’amitié française ? - persistent : les noms des bâtiments officiels sont à la fois en lao et en français.
Ne voyant pas un lieu, en ville, pour se poser tranquillement cette nuit, nous décidons de poursuivre la pointe dorée qui perce dans l’horizon en haut d’une petite colline.
Il y a un temple, là, tout en haut. Nous y passerons la nuit, nous déverserons nos rêves sur le lointain qui s’étend, comme un don, devant nous. Le coucher de soleil y est tellement magnifique que nous hésitons même à redescendre dans le village pour manger. Je crois que je ne le dirais pas assez dans ce récit : je n’ai jamais vu de couleurs aussi merveilleuses que celles que le Laos nous a offertes. Ici, un ciel orangé qui, d’abord, s’accroche au doré des statues et des toits du temple puis, fatigué d’avoir gonflé les nuages de sa lumière, d’y être devenu autre - un mauve qui un peu magiquement nous dilate le cœur d’espoir - il déserte le monde d’ici bas de sa présence, le laissant dans une ombre calme…
Pleins de cette beauté, on décide quand même d’aller manger dans le village, histoire de le connaître un peu mieux. On soupe dans le marché de nuit après voir fait un tour devant des étalages vendant toute sortes de mets inconnus - composés d’herbes et bestioles multiples - et qu’on n’est pas vraiment tentés de goûter, on ne sait pas vraiment pourquoi…
On se laisse finalement tenter (moi, parce que Vinh, tout ça, semble lui avoir coupé l’appétit !), par du canard rôti avec du riz gluant. Au moins une dizaine de chiens et de chats nous accompagnent, tout en silence, dans une attente anxieuse.
En direction de Luang Prabang
Nous avons beaucoup hésité à descendre à Luang Prabang. Étant très proches du Vietnam - notre « destination finale » - nous avions pensé peut-être rester un peu plus longtemps dans le Nord…mais, finalement, nous avons changé d’avis. C’est bien de changer d’avis. Parce que, très certainement, la route de Luang Prabang, ce jour là, va rejoindre le recueil de nos souvenirs mémorables.
On ne peut pas vraiment appeler cela une route, cette voie cabossée et pleine de trous qui file, étroite, entre les collines dodues et vertes, mais nous en avons vues de plus hargneuses…
Du vert, du vert, et encore du vert. Une couleur fraîche et vivante tantôt sauvage avec ses arbres en folie, tantôt travaillée avec l’art dont seuls les paysans sont capables. Du bleu aussi. Du bleu clair, riche et pénétrant, habité par de denses et touffus nuages blancs qui, avec leur barbe grise, annoncent la pluie puis, sur un autre versant de la colline se dispersent, se font plus doux et plus blancs laissant présager une journée chaude et ensoleillée. De la fenêtre, je regarde les formes biscornues qu’ils évoquent et je me rends compte que c’est la première fois, depuis longtemps, que des nuages me donnent l’opportunité de réitérer un jeu d’enfant.
Le ciel et la terre, tout ici de par les formes et la lumière, engage l’âme à la rêverie.
Des formes des nuages jusqu’à celles des collines, tout est arrondi. Rien qui ne pointe, qui ne blesse. L’œil et le cœur s’ajustent à ce qu’ils voient et bientôt la douceur vous gagne tout entier. On se sent glisser le long de ces pentes géantes et douces qui vous sont offertes en horizon. On file derrière un joli sourire d’enfant.
Des minuscules cascades dévalent le long de la roche qui se cache entre les arbres. Quelques uns de ces filaments d’eau sont acheminés par un ingénieux système en bâtons de bambou et on peut s’en servir comme fontaine.
Nous croisons quelques villages, maisons en bois et toits de feuilles séchées, du bois, encore, coupé et rangé.
Des énormes buffles gris ou blancs croisent parfois notre route, des vaches brunes qui s’affolent à notre passage et puis au sommet, très près du ciel bleu, et un peu perdus dans cette jungle foisonnante, un ou deux chevaux…
Il y a de l’ombre qui se jette sur les parois douces de certaines collines. La seule preuve de la présence du géant des hauteurs…
Le reste du trajet fut baigné par le frais souffle d’un vent d’après-pluie que je cueillais fenêtre ouverte, par la lumière pétillante et brisée qui se jette sur les tournesols et par l’accueil amusé d’enfants ici moins craintifs…
Puis, un arc-en-ciel sur l’horizon devenu bleu-gris. C’est que le ciel s’obscurcit, mais la lumière ne veut pas mourir. Elle s’accroche à la cime des arbres qui balancent doucement. Elle explose, comme sous la poussée d’un dernier instinct, à l’intérieur des nuages…Non, la lumière ne veut pas mourir. Dans un dernier soubresaut, elle se jette sur le bois mouillé et le rend plus jaune, plus luisant…sur les visages interrogateurs des femmes qui nous regardent passer et apporter du bruit dans leur silence humide. Elle s’attache aux regards des enfants, à leur nudité qui a la couleur du Mékong.
L’asphalte de la route brille et j’aime le bruit que font les roues sur la route mouillée. Soudain, surprise, la route monte et, au bout, survit encore le bleu. Vinh dit « on dirait la route qui mène au Paradis, qu’au bout il y a une prairie, des chevaux, des champs de fleurs et des enfants qui jouent ». Il y a à peu près tout cela. Pas au bout, mais tout autour de nous.
Luang Prabang
Vinh crève d’envie de manger un stoemp saucisses. Vous imaginez qu’au Laos, cela peut difficilement arriver…(En fait, cela me semble difficile partout, tellement je n’aime pas le plat..).Et bien non, en arrivant à Luang Prabang, en cherchant un bivouac, qu’est-ce que nous ne voyons pas ?? Un restaurant belge !! Et finalement, il en viendra même à commander des carbonnades flamandes avec des frites, s’il-vous-plaît.
Le lendemain matin, vue sur le Mékong, des vallées verdoyantes affublées de quelques toits pointus au lointain, la brume et quelques bateaux longs qui transportent les touristes sur l’autre berge.
Les nombreuses boutiques d’art ou d’artisanat sont une salve au cours de notre promenade car, vraiment, le soleil tape sans pitié.
On reconnaît bien là une ville marqué par le sceau « Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco » : elle est incontestablement jolie et culturellement intéressante, mais qu’est ce qu’elle est artificielle ! Tout est tourné vers le tourisme, absolument tout. En dehors des trémoussements du tourisme, on ne sent pas la palpitation d’une vie par ailleurs. Avec une multitude inouïe de guesthouses, restaurants, agences de voyages et d’écotourisme, les laotiens de Luang Prabang ne semblent vivre que de cette activité. Mais avec ses petites maisons aux couleurs décrépies et volets en bois, ses fils électriques qui les traversent de part en part, les rues de la ville sont vraiment charmantes. Des moines drapés d’orange vif, les vélos qu’on tient d’une seule main car l’autre tient le parapluie, des lampadaires en fer forgé, des palmiers, des temples magnifiques, des tentes dressées pour les petites faims ou pour ceux qui auraient (encore) besoin d’acheter des tongues (comme moi), tout cela a assurément un charme de carte postale.
Trop chaud pour rester en ville…et si nous nous laissions encore tenter par une cascade ?
Aux cascades de Kuang Si, j’ai oublié qu’un jour j’ai pu avoir chaud.
Des cascades en étages en pleine forêt, eau claire, arbres dans l’eau. Et beaucoup de baigneurs.
C’est aussi un centre de protection des ours asiatiques.
Au retour des cascades, arrêt-provisions au marché local. Les gens sont très étonnés de nous y voir et de fait, ici, nous sommes les seuls étrangers à déambuler parmi les étals de végétaux, des poissons (vivants), de la viande noircie par une carapace..de mouches. Miracle ! Nous avons trouvé du pain - de la baguette ! – au marché. Il y a encore un enfant qui éclate en pleurs en voyant Vinh…
Un autre marché super chouette est le marché de nuit de Luang Prabang. Des longues allées où les ethnies vendent leur artisanat (ou…où les chinois font vendre l’artisanat qu’ils ont racheté aux ethnies ??!).
On lève le camp pour Phonsavan, puis la frontière vietnamienne que nous espérons atteindre dans trois jours. Mais avant de quitter Luang Prabang, on s’en va prendre de l’essence.
Horreur : il nous manque de l’argent pour payer et…sa carte de crédit a disparu du portefeuille !!
Petit moment de panique pendant lequel il faut gérer la personne qui attend son argent et qui ne comprend pas ce que vous essayez de lui expliquer puis, se rappeler POURQUOI la carte n’est plus dans le portefeuille.
Nous avons laissé nos passeports au gars de la pompe et sommes retournés là où nous avions retiré de l’argent la veille.
Miracle : il y a des agents de Visa justement occupés sur la machine en question et ils ont la carte de Vinh en mains…et ils lui demandent son passeport.. ! Pas de problème, la carte d’identité fit foi.
Luang Prabang – Phonsavan:
Vu encore des montagnes bleues et vertes, un ciel ivre de lumière puis, finalement…l’odeur de la pluie et un arc-en-ciel tendu comme un arc-à-flèches depuis une colline lointaine et plongeant dans le bassin vertigineux et verdoyant formé par une couronne de hauts monts.
Asphalte mouillé, ciel bas et gris, le bleu qui s’évanouit au dessus de la cime des collines noyées dans une brume têtue…L’odeur du bois qui, malgré tout, brûle. L’odeur des arbres, des plantes, des arbustes, de chaque brin d’herbe qui s’élève, droit, pour sa survie dans une marée de boue. Cette odeur de Nature qui s’ouvre toute entière - comme un Désir – afin de recueillir les larmes du Ciel, la sève de Vie.
Après voir roulé longtemps, désespéré de ne pas trouver un lieu pour la nuit et que celle-ci nous tombe dessus, finalement nous arrivons dans un village avec un pan de terre rouge qui est libre.
Il y a déjà un pick-up, de toute apparence un vendeur de vêtements de seconde main ambulant.
En moins de 10 secondes, il y a déjà tout un tas de curieux mesurant moins d’1,20 m qui en prenant un faux air désintéressé font les 100 pas autour des nouveaux arrivants. On emmène un bébé qui pleure. La nuit tombe soudainement. À notre gauche : 2 huttes. Par l’entrebâillure de la porte d’une d’entre elles, j’aperçois une femme qui s’affaire autour d’un feu creusé au milieu de ce qui semble être l’unique pièce, en sol de terre battue. À notre droite : la route et d’autres cabanes alignées. Au dessus de nous : des étoiles, une infinité d’étoiles qui brillent sans avarice. L’atmosphère est sacrée…et fragile.
Nous avons fait irruption dans un quotidien rythmé par le familier, le connu. On le sent très fort. Même si chacun s’évertue à ne pas le montrer. Chacun observe l’Autre sous les fils de Lune tissée qu’il s’agit de ne pas rompre. La rencontre, ici, se produit avec distance et s’observe avec l’œil intérieur. Il y a là quelque chose de magique, et même d’ancestral, tellement déroutant que l’instinct est ardemment mis à contribution. On est là et, pourtant, on sent qu’il s’agit d’Etre le moins possible. Il ne faudrait pourtant pas rater la rencontre…Quoi de mieux pour le lien que d’aller boire un pot ?
Il y a un seul boui-boui où nous nous servons de deux canettes pendant qu’on nous plante une bougie dans un verre car la lumière de l’unique lampe tressaille, faiblit. Ailleurs, rien d’allumé non plus. À l’exception de quelques feux allumés, le village est plongé dans le noir. Et nous sommes les seuls à boire quelque chose dans la nuit noire et brillante.
Nous nous faisons réveiller dés 5 heures du matin par les coqs. Puis…par les rires et les pas traînants des petits curieux qui rôdent autour du camion. Nous ouvrons les portes, nous disons bonjour, nous prenons le petit-déjeuner en saluant bien souvent. Au cours de 10 mois de voyage, combien de fois n’a-t-on vécu cela…
Un lien bien que délicat est tissé, je m’autorise donc à prendre quelques photos.
Jusqu’à Phonsavan, nous traversons cette fois des plaines, merveilleuses, paisibles, généreuses en conifères, en terre rouge et désertes à l’exception des buffles gris ou blancs, des vachettes et de leur progéniture. Nous décidons de nous arrêter dans cette ville pour manger un bout et aller sur internet et, par hasard, nous découvrons que nous sommes tout prêts de la Plaine des Jarres. Alors que nous discutons de faire un arrêt pour visiter ces lieux, nous rencontrons Elisa et Vanessa, deux françaises, avec qui nous allons partager, au cours de ce voyage au Laos, bien des chouettes moments.
Nous allons visiter la Plaine des Jarres en compagnie des deux sœurs.
Il s’agit d’un mystérieux plateau de 1000km², à 1000m d’altitude, comptant environ 460 grandes jarres d’origine inconnue, taillées dans la pierre ou le granit, mais prouvant l’existence d’une civilisation à cette époque.
Vieilles de plusieurs millénaires, ces jarres auraient servi soit de sarcophage, soit de récipients pour la fermentation du vin ou la conservation du riz. Néanmoins, les scientifiques penchent plutôt pour l’hypothèse des urnes funéraires.
Le 1er plateau que nous visitons est plutôt aride et brûle sous le soleil. Il y a également une grotte où on vénère un Esprit et, si je me souviens bien, les gens disent que c’est cet Esprit qui a préservé le site des bombardements américains même si, à un endroit donné on peut estimer la grandeur meurtrière d’un bombe à la vue du cratère qu’elle a provoqué…
Ah oui, d’ailleurs, toute promenade au Laos impose que l’on ne s’écarte pas des sentiers battus qui n’auraient pas encore été déminés…Les leaders ont beau changer, malheureusement, il y en a qui même des années après ne prennent toujours pas leurs responsabilités et on voit encore quantité de laotiens mutilés ce qui implique, en plus du désastre personnel que cela constitue, des centaines de familles privées d’un revenu/force de travail et accablées de frais médicaux qu’elles ne peuvent supporter, sans parler des enfants qui explosent encore sur les mines
Après la visite d’un stupa et celle d’un temple abritant un bouddha à la drôle d’allure (lui aussi victime des américains), nous prenons une route défoncée - un peu tard peut-être, vu que le soleil menace de se coucher à tout instant - vers la seconde plaine des jarres.
Le ciel est encore gorgé de cette couleur magnifique qui met de la lumière partout ici bas.
Arrivés sur le site exactement quand le soleil se couchait, j’ai eu un vrai coup de foudre pour l’endroit. S’il y a un endroit que l’on pourrait qualifier de Paradis sur terre, c’est bien celui-là. Un endroit où l’on sent Dieu si proche de nous, petits humains…Parce que c’est un endroit où l’on se sent petit et grand à la fois, petit devant l’ampleur de cette Beauté et grands parce qu’on nous en fait don.
Les jarres millénaires, plaines et collines à perte de vue, une brise fraîche après la petite montée, des petits arbres (arrrggghhh, je m’en veux de ne pas être botaniste et connaître leurs noms !!) au tronc magnifique, aux racines grandiloquentes, ciel rouge, bleu, orange, violet, jaune…Lumière de Paix en toute chose, du ciel jusqu’à la petite feuille qui plie légèrement sous la brise, lumière de Paix autour de nous, au dessus de nous, en nous.
Le Laos est vraiment un pays arc-en-ciel. Un pont entre deux mondes qui se traverse dans la lumière. Si proche du ciel, si beau vu de la terre.
Le soir, les filles nous ont amenés dans un restaurant où elles savaient qu’on mangeait bien. Ce fut le cas. Au bord du fleuve.
(Cliquez ici pour voir toutes les photos du Laos !!)
Dernier souvenir de la Thaïlande, coût : 50 euros. À la frontière thaïlandaise, il paraîtrait qu’il nous manque un papier relatif au véhicule et que nous aurions du recevoir de la part de la douane thaïlandaise, à l’entrée. Le vieux gars galonné, seul dans son bureau et antipathique comme une porte nous réclame une amende de plus de 100 euros ! Bien-sûr on proteste ; j’argumente que nous ne devons pas payer pour leur erreur professionnelle : c’est eux qui ne nous ont pas donné ce papier (même si après nous nous sommes bien rendus compte que nous aurions du avoir ce document) !
À côté de son bureau, à l’extérieur, il y a un écriteau en thaï traduit en anglais. Il nous dit de regarder cet écriteau qui prouverait la légitimité de ses exigences. Mais moi, je n’y lis rien relatif à ce document et alors que le colonel insiste « regardez…, ils disent : si la personne n’a pas le papier, elle doit payer 100 euros… », je ne vois, dans la traduction anglaise du moins, aucun chiffre. « Bon, vous pouvez payer que 50 euros », finit-il par avancer, bon prince, devant notre désarroi feint qui cachait plutôt une grosse indignation. « C’est écrit…que…on peut aussi payer que 50 euros… », continue-t-il.
Mais comme il fallait payer en bahts (monnaie thaïe), on se hasarde : « Mais nous n’avons pas tout cet argent ! On a liquidé tous nos bahts car on pensait partir, on a seulement l’équivalent de 25 euros… ! ». Ce n’est pas vrai évidemment. Il ne se laisse pas prendre au jeu : « Il y a un bancontact si vous prenez la rue, en haut, à droite », dit-il.
Un bancontact ici !! Il n’y a que la jungle et des chemins de terre boueuse à la ronde ! Bredouilles, on remonte dans la camionnette et on fait semblant d’aller à ce foutu bancontact. Finalement, on ne saura pas s’il existe vraiment car on s’arrête au coin de la rue, hors de sa vision, et on attend quelques minutes avant de redescendre.
Les collines arrondissent l’horizon et devant elles, le vert des rizières s’étend comme un tapis très propre.
Les maisons se font rares, en fait il n’y en a pas, mais bien, de temps à autre, des petites cabanes en bois et paille.
Soudain le choc. Un village et nous voilà dans un autre monde. Un monde là-haut, un monde lointain. Au bord des routes sinueuses qui montent le long du ravin, si petits dans cette immensité verte, tombés comme une route de rosée au creux de cette nature douce, des enfants nus. Ils nous regardent un peu terrifiés du bord de la route quand ils ne marchent pas vers le lointain chargés d’un sac d’herbe ou de petit bois. Vu ce qui va dans leurs yeux à notre approche, on a la pudeur de ne pas les photographier et je pense que c’est bien.
Une fois, des plus grands s’arrêtent sur le bord de la route pour nous voir passer alors, nous nous arrêtons aussi et sortons l’appareil photo. On demande, avec des gestes, si on peut faire une photo, mais la moitié du groupe - les plus petits - s’étaient déjà jetés, avec un désespoir inouï, dans les fourrés.
Notre passage semble, et semblera tout au long de la route du Laos, effrayer ou bousculer le monde là-haut. Les gens, les enfants la plupart du temps, se cachent à notre passage ou se couvrent les oreilles. On fait vraiment trop de bruit. Personnellement, je sens que la distance entre moi et « eux » est plus grande que celle éprouvée n’importe où ailleurs. Comment établir le lien dans ce cas ? Il me semble déjà qu’ils passent dans ma vie comme un tableau magnifique, mais dont je ne possède pas la formule qui me permettrait d’y rentrer telle que je suis, sans rien à prendre, ni rien à offrir.
C’est parce que ce point d’intersection magique - qui est la Rencontre – semble si difficile à trouver que je ne ferais pas beaucoup de photographies de personnes. Je ne dis pas qu’il faut obligatoirement connaître quelqu’un pour la photographier. Mais on ne photographie pas un regard que notre présence apeure ou violente. Beaucoup de « touristes » l’oublient : l’appareil photo est une arme qui nous positionnera souvent du côté de la force.
Les êtres humains, même là-haut et même si leur beauté nous sidère, ne sont ni des cartes postales, ni des trophées.
Le voilà, enfin, le fleuve-roi d’Asie du Sud-Est : le Mékong.
Après le vert agate de l’Indus qui nous a accompagnés sur une bonne partie de la route, nous nous rinçons les yeux dans le fleuve brun.
Cela peut être aussi une frontière naturelle, comme ici. Il faut amener le camion sur l’autre rive, à Pakbeng, sur le bateau. Prions pour que ça tienne.
À Pakbeng on se dit : voilà un village au milieu de nulle part. Celui-ci est constitué d’une route unique avec vue sur le Mékong, courue par les enfants et où s’alignent échoppes et petites maisons. Dans une montée, Vinh voit un touriste, content de sa trouvaille et pris de fraternité, il lui fait un grand signe « hello ! ». Voilà la descente et voilà…des dizaines de touristes, des guesthouses mignons, des restaurants qui brillent de mille feux et couleurs…!
Nous pensions qu’il serait difficile de trouver un bivouac dans cette rue unique cousue d’un fil de maisons alignées, collées les unes aux autres. Finalement, l’office du tourisme a un petit parking. C’est le grand luxe : pleine vue sur le roi des fleuves et la jungle tropicale.
Nous rentrons à l’office du tourisme où il n’y a personne pour nous recevoir. J’apprends juste, dans une pancarte explicative, qu’il ne faut pas accompagner notre salut à un laotien, d’un sourire et d’une trop grande marque de familiarité. Oups !...Je n’ai pas arrêté de le faire. Mais comment faire pour ne pas sourire à quelqu’un quand on voudrait lui ouvrir notre cœur ? Cela me semble tellement « naturel »…Je me souviens néanmoins, que pratiquement tous m’on rendu mon sourire et il n’y avait rien de forcé.
On fait un tour dans le village puis, parmi les multiples bars et restaurants on en choisit un pour fêter notre arrivée au Laos avec une première bière laotienne.
Finalement, nous en boirons plus d’une.
Qui ne voit-on pas arriver, sourire jusqu’aux oreilles et rouge pivoine ?? C’est Tiago, et Joana ! Vous vous souvenez ? Les portugais avec qui nous avions passé une chouette soirée au Chinatown de Bangkok !
De toute apparence, Tiago a déjà bien fêté les heures précédentes… Disons que la photo ci-dessous est aussi brouillée que son esprit cette soirée là :
Avant d’aller plus loin dans l’exploration du Laos, ce serait peut-être utile de parler de ses gens qui lui donnent, en grande partie, ses multiples couleurs.
D’une superficie grande comme environ la moitié de la France, mais avec près de 5 millions d’habitants, le Laos est un des pays les plus dépeuplés du Sud-Est asiatique (17 habitants par km2). Il est peuplé par 80 ethnies, que l’on peut regrouper en 4 familles. Chacune de ces ethnies parle son propre dialecte, possède ses coutumes propres, ses traditions, sa religion, etc.
- Laos Thais (ou Laos Loum des Basses Terres) : cette famille représente 75% de la population et comprendrait 23 ethnies
- Laos Theung (des Terres de Moyenne Altitude) : appelés aussi proto-chinois, on dénombre 58 ethnies différentes
- Laos Soung (vivant dans les Montagnes au-dessus de 1000 mètres) : notamment les Hmongs et les Yaos
- Les autres asiatiques
D’après le site officiel qui me sert de source, cette répartition serait reflétée par les institutions politiques du pays puisque la répartition ethnique des 99 députés est la suivante (parlement en 2004) : 64 "Lao Loum" (Laotiens des plaines), 26 "Lao Theung (Laotiens des plateaux), 9 "Lao Soung" (Laotiens des sommets).
Pakbeng – Muong Sai :
En se dirigeant vers Muong Sai, nous foulons la province d’Oudomxai, carrefour entre les routes menant vers Luang Namtha et Bokéo à l'ouest, Phongsali et la frontière vietnamienne à l'est peuplée par plus de 23 groupes ethniques dont les Hmong, Iko, Khamu, Tai Lu, Tai Deng, Lamet, Tai Dam...,. Essentiellement montagneuse, Oudomxai est encerclée par Luang Prabang, Phongsaly, Sayaboury et…la Chine.
En direction de Muong Sai la route est étroite et bordée par une végétation luxuriante, des rizières travaillées au peigne fin et brillant comme des lames sous les nuages bleus, surveillée par des gros buffles gris aux longues cornes intimidantes mais au regard ami. Des maisonnettes dont les murs sont faits en une espèce d’osier tressé, des larges feuilles séchées, ou de la paille pour le toit…et, parfois, une antenne satellite juste à côté.
Après autant de profusion, l’arrivée à la capitale de la province, à Muong Sai, est un peu désolante. On se croirait plutôt à Gilgit - Pakistan -, entourés de montagnes brunes, respirant la sécheresse poussiéreuse des routes, une ville enveloppée de rien, juste quelques maisons sans charme - la plupart des boutiques chinoises, des restaurants ou des guesthouse - et tout cela sous un ciel lourd, gris qui nous gratifie d’une pluie torrentielle.
Débarqués dans un guesthouse/internet café meublé par du bois sculpté et verni comme les chinois aiment. Pas pour dormir, non, mais pour régler quelques choses sur internet. Nous sommes néanmoins soulagés lorsque nous en sortons avec la tête qui bat la chamade. En effet, nous étions tombés en plein repas de famille ; ça a bu, mangé, rigolé et crié à plein poumons pendant des heures. Impossible de parler par skype avec la famille.
Muong Sai est le principal nœud de communication entre la Chine et le Laos : de nombreux commerçants transitent par là. Elle est également au croisement d’une route reliant au Vietnam.
Le Vietnam : de plus en plus présent dans notre ligne de mire.
Nous n’avons pas de guide pour le Laos. Nous voyons néanmoins dans notre carte routière que le village de Muang Sing, au Nord-Ouest, est signalé comme point d’intérêt pour son marché ethnique. En effet, il est situé en plein dans ce qu’on appelle communément le Triangle d’Or. À l'instar du Croissant d'or, regroupant l'Afghanistan, l'Iran et le Pakistan, le Triangle d’Or - regroupant ce coin montagneux du Laos, la Birmanie, et la Thaïlande, certains y incluent même une partie du Vietnam ou le Yunnan chinois - est l'une des principales zones mondiales de production d'opium depuis les années 1950. C’est grâce à cela que la petite ville est devenue un coin éminemment touristique, attirant depuis les ’60 des centaines d’aventuriers des états modifiés de conscience…
Sur place, les principaux consommateurs d’opium sont les vieilles personnes qui soulagent ainsi les nombreuses souffrances qui accompagnent leurs derniers jours après une vie de dur labeur.
Il n’y a pas que les individus qui goûtent à la substance. Les canards aussi semblent s’y adonner au vu de l’insouciance et de la lenteur avec lesquelles la petite famille traverse la route.
Il n’y a pas que les canards qui traversent…Il y a aussi les poules et leurs poussins, les cochons vietnamiens et leurs petits, les chiens, les chats, les grenouilles, les libellules - elles, ne traversent pas, mais se jettent littéralement sur le carreau du camion -, des papillons géants…
Du vert, encore du vert.
Et puis, arrêt dans un village, on se fait des nouilles dans le camion.
Nous sommes juste à côté d’un de ces robinets-fontaines du village dans lesquels chacun vient pour sa toilette quotidienne ou pour faire son linge. Les hommes se lavent en maillot et les femmes s’entourent d’un sareng, espèce de pareo. Aujourd’hui, il y a une petite famille. Comme nous sommes juste à côté, nous essayons de ne pas les mettre mal à l’aise, de ne pas regarder. On entend juste les rires de la petite fille que son père asperge d’eau.
Eux aussi se font discrets. Malgré le va et vient, personne ne s’est arrêté pour nous interpeller, personne n’a manifesté de curiosité par rapport à ce qui nous sert de maison contrairement aux autres pays que nous avions précédemment traversés. À peine un regard en coin, un sourire timide et désintéressé en réponse à notre salut.
Sur la route, au gré des villages tressés dans cette copieuse nature, des visages tracés à la poussière, beaux, présents avec une force à laquelle seul équivaut le courant du fleuve qui baigne leurs existences. Des visages aux yeux perçants, saillants dans ces corps accroupis. Des regards intelligents, parfois candides ; des regards qui s’étirent dans une vaste immensité verte qui caresse les nuages.
Bon, le marché de Muang sing ce n’est pas trop ça. Les chinoiseries industrielles ont certainement remplacé l’artisanat local et ethnique.
Malgré la température plutôt agréable, beaucoup dorment à l’ombre des étals.
C’est dehors que nous avons croisé quelques vendeuses Akha.
L’ethnie des Akha appartient à la catégorie des Laos Soung - ceux dits « d’en haut » qui vivent dans les montagnes (au dessus de 1200 mètres) - à l’instar des Hmongs et des Yao. Ils sont arrivés au Laos au cours de ces 200 dernières années. Leur langue est apparentée au chinois et au Tibéto-Birman. Ils sont toujours nomades ou semi-nomades, même si le gouvernement tente de les sédentariser en les faisant descendre des montagnes sous les prétextes de l’éducation et de la santé. La plupart de cette ethnie se retrouve au nord du pays. Ils sont de grands travailleurs, coriaces au combat (les communistes l’apprendront souvent à leur dépend), et peuvent se targuer d’être parfaitement autosuffisants. Historiquement cultivateurs d’opium, ils ont dans le temps formé une guérilla soutenue par les américains. Ils sont animistes, bouddhistes et parfois chrétiens (depuis le passage des missionnaires français voilà plus d’un siècle). Ils sont des sorciers, des chamanes, ont des traditions et une culture propre.
http://www.luangprabang-laos.com/Les-peuples-tribus-et-ethnies-du.html
À Muang Sing, nous nous en sommes allés pour une balade à vélo. Le temps est clément, il y a une très douce brise de montagne. J’aime ce ciel gris et la menace, toujours présente, de la pluie. La balade ne sera pas très grande, au grand dépit de Vinh, il n’y a rien à faire la selle me fait horriblement mal…Je sais, je suis une chochotte de la pédale.
Alors, après quelques mètres sur un sentier caillouteux, nous nous arrêtons pour que je souffle un peu devant l’immensité verte et brillante d’une rizière. Commence alors un des épisodes humainement des plus intéressants de notre voyage au Laos. C’est difficile à raconter tellement l’atmosphère était unique, particulière…mais essayons.
Je n’ai jamais marché dans une rizière. Je me souviens que ma grand-mère perpétrait presque une tentative de meurtre sur ceux qui s’aventuraient à marcher dans le terrain qu’elle cultivait.. Alors, c’est avec hésitation, que je suis Vinh dans son incursion alors qu’il m’assure qu’il n’y a pas de problème. On ne marche pas dans la rizière, bien-sûr, puisqu’elle est immergée dans l’eau. Mais sur des étroits et boueux sentiers séparant les parcelles et qui menacent de s’écrouler. Vinh est décidé à aller rejoindre les paysans qui travaillent un peu plus loin. Bientôt nous nous retrouvons postés au milieu de cet océan vert. À la croisée de quatre minuscules chemins qui dessinent la rizière, une « construction » faite de fragiles bouts de bois et d’éphémères brindilles que la brise menace à tout moment de démanteler. On dirait les prémisses de ces fameuses maisons des esprits qui invoquent la clémence et la protection des dieux. Je n’ose pas trop faire un pas de plus pour diminuer les quelques mètres qui nous séparent des paysans. J’ai remarqué que les laotiens sont craintifs (?), je n’ai pas envie de forcer un contact et j’avoue, je ne sais pas trop comment m’y prendre avec des personnes qui semblent enfuir leurs têtes au plus profond de leur chapeau. Vinh tente de se rapprocher de la paysanne qui se tient le plus proche de nous. S’ensuit alors un ballet passionnant, une poursuite mystérieuse et subtile un jeu de cache-cache dans une immensité nue. Le silence est la seule et unique cachette d’où seule s’élève une inavouable angoisse : celle de la Rencontre. Pour l’un de ne pas y arriver, pour l’autre de s’y trouver pris.
Je me retire du jeu et au bord du chemin j’assiste à ce qui ressemble beaucoup à un jeu d’échecs : chaque pion poursuivant sa propre stratégie en avançant dans les cases choisies. C’est un jeu plein de suspense puisque l’intersection est proche et, en même temps, si improbable. Et, effectivement, elle n’aura pas lieu.
Sur le chemin du retour, une autre rencontre aura lieu. Des hommes devant une maison préparent un combat de coqs. J’avoue que ce n’est pas une super perspective pour moi, mais Vinh est intéressé.
Deux coqs sont lavés, caressés, massés juste avant la rencontre décisive…et cruelle. Le reste c’est de la boxe thaï version volatile. Des coups de bec, des sauts vertigineux qui soulèvent des huées d’admiration de la part du public supporter, des feintes, des coups de griffe à droite et à gauche, des prises corps-à-corps. L’arbitre doit séparer les coqs lorsque cela s’impose. À la fin, ils ont la crête ensanglantée. Bref, à la fin - on compte environ une demi heure d’affrontement - on ne comprend pas trop qui a gagné. Néanmoins, à notre demande, les organisateurs nous présentent le vainqueur avec une certaine fierté.
En fin de compte, la journée aura été riche en rencontres puisque sur le chemin du retour, on rencontre…Étoile. Sur le bord de la route on aperçoit au dernier moment un bébé chat que l’on aurait pu écraser en roulant. Bon, les chats ce n’est pas ce qui manque sur les routes de ces pays qu’on traverse. On ne peut pas s’attendrir sur chaque créature qui borde les routes sinon on en aurait aussi pour les canards, les poules, les oies, les chiens, les cochons, les grenouilles, etc. Mais, ici, de part et d’autre de la route…la jungle, la forêt épaisse, et à des dizaines de mètres de l’hameau le plus proche. Un chat aussi jeune n’aurait jamais pu parcourir autant de chemin et, la mère, ne se cache sûrement pas dans la jungle pendant tout ce temps où on se penche sur la petite créature. Le chaton est frêle, ses grands yeux verts tristes ressortent de sa tête trop grande pour son corps et, lorsque je me penche pour mieux l’examiner, la créature émet un miaulement faible et dolent. Clairement, nous ne pouvons pas le laisser là. C’est sûr, il a été abandonné. Quel est le plan alors ? …Même si mon petit cœur en sucre s’imagine déjà avoir un nouveau compagnon de voyage qu’il ramènera à la maison, au fond de moi, je sais que ce n’est pas possible. Alors le plan que Vinh et moi convenons à l’avance : requinquer la petite bête pendant 2 jours puis, demander dans un temple s’ils ne veulent pas le garder. On voit assez généralement assez de chiens dans un temple et les bouddhistes sont censés respecter toute forme de vie alors, ce n’est pas parce qu’Etoile a une gueule de travers qu’elle fera l’exception !
Nous faisons les 2 derniers kilomètres à pied : Vinh en tirant les deux vélos, moi en portant le petit chat contre mon ventre. J’essaye de le secouer le moins possible, mais son cou est tellement fragile que sa tête tombe un peu dans tous les sens. Mais, il arrive néanmoins à trouver une position confortable en posant le creux entre son menton et son cou sur mon avant bras qui le transporte. De temps en temps, il pousse un miaulement…j’ai l’impression…de lassitude.
Sur le chemin, les gens que nous croisons nous regardent bizarrement, un peu amusés.
Arrivés dans le camion, je donne un peu de lait dilué au chaton et lui prépare un petit endroit douillet dans une bassine. Puis, petit à petit, je lui donne un peu de thon. Pour voir s’il est sevré et s’il arrive à manger tout seul. Pour ça, pas de problème ! Il dévore, et émet même un emphatique grognement de plaisir et d’impatience à mon intention. Je ne lui donne pas beaucoup à la fois car je sais qu’il n’a pas mangé depuis longtemps. On le laisse se reposer à la maison pendant que nous sortons. Entretemps, j’y fait encore un petit saut pour voir comment il va et le laver un peu car nous l’avons trouvé dans un sale état et je n’ai pas envie qu’il nous ramène des bêtes et des trucs dangereux pour la santé. Mais le bain est sommaire car je vois comment cela le met au supplice..tous les chats allez vous me dire. Oui, mais quand on les sait forts et matous on n’a pas trop le cœur qui pince en les voyant s’énerver un peu. Celui-là était tellement menu, tellement petit !...que je l’ai aspergé à peine de quelques fins filets d’eau et massé avec une petite noix de savon. Après l’avoir bien séché contre moi, il parvient à s’endormir et ronronne même…Je le mets donc dans sa petite boîte et pars rejoindre Vinh.
Le lendemain matin, lorsque nous nous réveillons, nous le retrouvons en très mauvaise forme. Il ne bouge presque plus et a l’air presque mort, le petit nez dans ses excréments…
Je vous épargne les détails, mais bon…j’ai essayé de faire quelque chose..je l’ai amené..à l’hôpital dans une petite boîte. Sur le chemin, il était pris de convulsions et se tordait de douleur. À l’hôpital, bien-sûr, on m’a regardé comme si j’étais complètement passée. Ils ont définitivement perdu leurs moyens lorsque, pas parvenue à me contrôler, j’ai éclaté en pleurs. Je dis « bien-sûr » car ils doivent déjà, dans ce petit village de montagne, avoir bien des soucis à traiter les êtres humains, alors les animaux…Ils n’avaient certainement jamais rencontré la situation qui devait sans doute avoir un petit côté pathétique pour des gens qui ont du devenir insensibles à bien des choses pour pouvoir survivre. J’en ai un peu honte, mais en même temps, j’ai fait ce que mon cœur - encore mou et sensible – m’a dicté de faire. Je ressentais aussi un peu de culpabilité : l’ai-je trop nourri ? Peut-être n’aurais-je pas du le laver ?, etc.
Entretemps, Vinh était allé se renseigner à l’office du tourisme et sans trop savoir on lui a conseillé le bureau de l’agriculture. Nous y avons amené Étoile qui se tordait et gémissait encore de douleur. Là-bas, ils ont plutôt l’habitude des gros animaux, mais bon, on était déjà un peu plus à la bonne place. Ils nous ont dit de leur laisser Étoile, qu’ils auraient le bon médicament le lendemain. Va savoir si c’est vrai. Nous étions un peu obligés de faire confiance alors, nous l’avons laissée endormie, heureusement, dans la petite boîte en carton.
Le cœur lourd, nous sommes partis, décidés à prendre la route de Luang Namtha.
Juste avant, pour se distraire de cette grosse émotion qui me fait encore monter les larmes aux yeux, on décide de prendre quelques instants pour regarder les ouvrages de quelques femmes H’Mong qui nous interpellent. En plus des jolis bracelets artisanaux, entre leurs dents noires et leurs regards sournois, elles nous proposent de fumer de l’opium. Nous déclinons leur offre bien évidemment.
Muanh Sing – Luang Namtha :
Sur la route de Luang Namtha, des enfants jouent à faire rouler un pneu à l’aide d’un bâtonnet. Petit arrêt dans des cascades brunes qui se trouvent au fin fond d’un hameau qui semble peuplé que par des H’Mong avec leur jolie tunique noire, leurs cheveux tressés autour d’un bandeau.
Après la cascade, baignade-bain dans le fleuve là où se lavent les autochtones. La femme H’Mong qui venait d’y faire ses ablutions rigole discrètement en nous voyant en train de tenter d’imiter leur manière de se laver. À cause du courant j’y perds une tongue.
La route est en hauteur et file très près du ciel bleu, des formes puissantes de ses nuages gonflés de pluie et de soleil. Ceux-ci veillent sur les rizières dessinées au peigne fin, des bananiers, des arbres à caoutchouc et l’eau du fleuve fait offrande généreuse de soi en venant abreuver chaque centimètre de ce joli tableau.
La ville de Luang Namtha est petite, mais très vivante. Beaucoup de guesthouses, de petits cafés, de touristes. On commence à se demander s’il n’y a pas un endroit au Laos qui ne le soit pas puisque, même dans ce qui paraît être un « trou perdu » dans la carte, il y a des touristes et les commodités qui vont avec…
Malgré le régime, communiste, quelques vestiges de la colonisation - ou de l’amitié française ? - persistent : les noms des bâtiments officiels sont à la fois en lao et en français.
Ne voyant pas un lieu, en ville, pour se poser tranquillement cette nuit, nous décidons de poursuivre la pointe dorée qui perce dans l’horizon en haut d’une petite colline.
Il y a un temple, là, tout en haut. Nous y passerons la nuit, nous déverserons nos rêves sur le lointain qui s’étend, comme un don, devant nous. Le coucher de soleil y est tellement magnifique que nous hésitons même à redescendre dans le village pour manger. Je crois que je ne le dirais pas assez dans ce récit : je n’ai jamais vu de couleurs aussi merveilleuses que celles que le Laos nous a offertes. Ici, un ciel orangé qui, d’abord, s’accroche au doré des statues et des toits du temple puis, fatigué d’avoir gonflé les nuages de sa lumière, d’y être devenu autre - un mauve qui un peu magiquement nous dilate le cœur d’espoir - il déserte le monde d’ici bas de sa présence, le laissant dans une ombre calme…
Pleins de cette beauté, on décide quand même d’aller manger dans le village, histoire de le connaître un peu mieux. On soupe dans le marché de nuit après voir fait un tour devant des étalages vendant toute sortes de mets inconnus - composés d’herbes et bestioles multiples - et qu’on n’est pas vraiment tentés de goûter, on ne sait pas vraiment pourquoi…
On se laisse finalement tenter (moi, parce que Vinh, tout ça, semble lui avoir coupé l’appétit !), par du canard rôti avec du riz gluant. Au moins une dizaine de chiens et de chats nous accompagnent, tout en silence, dans une attente anxieuse.
En direction de Luang Prabang
Nous avons beaucoup hésité à descendre à Luang Prabang. Étant très proches du Vietnam - notre « destination finale » - nous avions pensé peut-être rester un peu plus longtemps dans le Nord…mais, finalement, nous avons changé d’avis. C’est bien de changer d’avis. Parce que, très certainement, la route de Luang Prabang, ce jour là, va rejoindre le recueil de nos souvenirs mémorables.
On ne peut pas vraiment appeler cela une route, cette voie cabossée et pleine de trous qui file, étroite, entre les collines dodues et vertes, mais nous en avons vues de plus hargneuses…
Du vert, du vert, et encore du vert. Une couleur fraîche et vivante tantôt sauvage avec ses arbres en folie, tantôt travaillée avec l’art dont seuls les paysans sont capables. Du bleu aussi. Du bleu clair, riche et pénétrant, habité par de denses et touffus nuages blancs qui, avec leur barbe grise, annoncent la pluie puis, sur un autre versant de la colline se dispersent, se font plus doux et plus blancs laissant présager une journée chaude et ensoleillée. De la fenêtre, je regarde les formes biscornues qu’ils évoquent et je me rends compte que c’est la première fois, depuis longtemps, que des nuages me donnent l’opportunité de réitérer un jeu d’enfant.
Le ciel et la terre, tout ici de par les formes et la lumière, engage l’âme à la rêverie.
Des formes des nuages jusqu’à celles des collines, tout est arrondi. Rien qui ne pointe, qui ne blesse. L’œil et le cœur s’ajustent à ce qu’ils voient et bientôt la douceur vous gagne tout entier. On se sent glisser le long de ces pentes géantes et douces qui vous sont offertes en horizon. On file derrière un joli sourire d’enfant.
Des minuscules cascades dévalent le long de la roche qui se cache entre les arbres. Quelques uns de ces filaments d’eau sont acheminés par un ingénieux système en bâtons de bambou et on peut s’en servir comme fontaine.
Nous croisons quelques villages, maisons en bois et toits de feuilles séchées, du bois, encore, coupé et rangé.
Des énormes buffles gris ou blancs croisent parfois notre route, des vaches brunes qui s’affolent à notre passage et puis au sommet, très près du ciel bleu, et un peu perdus dans cette jungle foisonnante, un ou deux chevaux…
Il y a de l’ombre qui se jette sur les parois douces de certaines collines. La seule preuve de la présence du géant des hauteurs…
Le reste du trajet fut baigné par le frais souffle d’un vent d’après-pluie que je cueillais fenêtre ouverte, par la lumière pétillante et brisée qui se jette sur les tournesols et par l’accueil amusé d’enfants ici moins craintifs…
Puis, un arc-en-ciel sur l’horizon devenu bleu-gris. C’est que le ciel s’obscurcit, mais la lumière ne veut pas mourir. Elle s’accroche à la cime des arbres qui balancent doucement. Elle explose, comme sous la poussée d’un dernier instinct, à l’intérieur des nuages…Non, la lumière ne veut pas mourir. Dans un dernier soubresaut, elle se jette sur le bois mouillé et le rend plus jaune, plus luisant…sur les visages interrogateurs des femmes qui nous regardent passer et apporter du bruit dans leur silence humide. Elle s’attache aux regards des enfants, à leur nudité qui a la couleur du Mékong.
L’asphalte de la route brille et j’aime le bruit que font les roues sur la route mouillée. Soudain, surprise, la route monte et, au bout, survit encore le bleu. Vinh dit « on dirait la route qui mène au Paradis, qu’au bout il y a une prairie, des chevaux, des champs de fleurs et des enfants qui jouent ». Il y a à peu près tout cela. Pas au bout, mais tout autour de nous.
Luang Prabang
Vinh crève d’envie de manger un stoemp saucisses. Vous imaginez qu’au Laos, cela peut difficilement arriver…(En fait, cela me semble difficile partout, tellement je n’aime pas le plat..).Et bien non, en arrivant à Luang Prabang, en cherchant un bivouac, qu’est-ce que nous ne voyons pas ?? Un restaurant belge !! Et finalement, il en viendra même à commander des carbonnades flamandes avec des frites, s’il-vous-plaît.
Le lendemain matin, vue sur le Mékong, des vallées verdoyantes affublées de quelques toits pointus au lointain, la brume et quelques bateaux longs qui transportent les touristes sur l’autre berge.
Les nombreuses boutiques d’art ou d’artisanat sont une salve au cours de notre promenade car, vraiment, le soleil tape sans pitié.
On reconnaît bien là une ville marqué par le sceau « Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’Unesco » : elle est incontestablement jolie et culturellement intéressante, mais qu’est ce qu’elle est artificielle ! Tout est tourné vers le tourisme, absolument tout. En dehors des trémoussements du tourisme, on ne sent pas la palpitation d’une vie par ailleurs. Avec une multitude inouïe de guesthouses, restaurants, agences de voyages et d’écotourisme, les laotiens de Luang Prabang ne semblent vivre que de cette activité. Mais avec ses petites maisons aux couleurs décrépies et volets en bois, ses fils électriques qui les traversent de part en part, les rues de la ville sont vraiment charmantes. Des moines drapés d’orange vif, les vélos qu’on tient d’une seule main car l’autre tient le parapluie, des lampadaires en fer forgé, des palmiers, des temples magnifiques, des tentes dressées pour les petites faims ou pour ceux qui auraient (encore) besoin d’acheter des tongues (comme moi), tout cela a assurément un charme de carte postale.
Trop chaud pour rester en ville…et si nous nous laissions encore tenter par une cascade ?
Aux cascades de Kuang Si, j’ai oublié qu’un jour j’ai pu avoir chaud.
Des cascades en étages en pleine forêt, eau claire, arbres dans l’eau. Et beaucoup de baigneurs.
C’est aussi un centre de protection des ours asiatiques.
Au retour des cascades, arrêt-provisions au marché local. Les gens sont très étonnés de nous y voir et de fait, ici, nous sommes les seuls étrangers à déambuler parmi les étals de végétaux, des poissons (vivants), de la viande noircie par une carapace..de mouches. Miracle ! Nous avons trouvé du pain - de la baguette ! – au marché. Il y a encore un enfant qui éclate en pleurs en voyant Vinh…
Un autre marché super chouette est le marché de nuit de Luang Prabang. Des longues allées où les ethnies vendent leur artisanat (ou…où les chinois font vendre l’artisanat qu’ils ont racheté aux ethnies ??!).
On lève le camp pour Phonsavan, puis la frontière vietnamienne que nous espérons atteindre dans trois jours. Mais avant de quitter Luang Prabang, on s’en va prendre de l’essence.
Horreur : il nous manque de l’argent pour payer et…sa carte de crédit a disparu du portefeuille !!
Petit moment de panique pendant lequel il faut gérer la personne qui attend son argent et qui ne comprend pas ce que vous essayez de lui expliquer puis, se rappeler POURQUOI la carte n’est plus dans le portefeuille.
Nous avons laissé nos passeports au gars de la pompe et sommes retournés là où nous avions retiré de l’argent la veille.
Miracle : il y a des agents de Visa justement occupés sur la machine en question et ils ont la carte de Vinh en mains…et ils lui demandent son passeport.. ! Pas de problème, la carte d’identité fit foi.
Luang Prabang – Phonsavan:
Vu encore des montagnes bleues et vertes, un ciel ivre de lumière puis, finalement…l’odeur de la pluie et un arc-en-ciel tendu comme un arc-à-flèches depuis une colline lointaine et plongeant dans le bassin vertigineux et verdoyant formé par une couronne de hauts monts.
Asphalte mouillé, ciel bas et gris, le bleu qui s’évanouit au dessus de la cime des collines noyées dans une brume têtue…L’odeur du bois qui, malgré tout, brûle. L’odeur des arbres, des plantes, des arbustes, de chaque brin d’herbe qui s’élève, droit, pour sa survie dans une marée de boue. Cette odeur de Nature qui s’ouvre toute entière - comme un Désir – afin de recueillir les larmes du Ciel, la sève de Vie.
Après voir roulé longtemps, désespéré de ne pas trouver un lieu pour la nuit et que celle-ci nous tombe dessus, finalement nous arrivons dans un village avec un pan de terre rouge qui est libre.
Il y a déjà un pick-up, de toute apparence un vendeur de vêtements de seconde main ambulant.
En moins de 10 secondes, il y a déjà tout un tas de curieux mesurant moins d’1,20 m qui en prenant un faux air désintéressé font les 100 pas autour des nouveaux arrivants. On emmène un bébé qui pleure. La nuit tombe soudainement. À notre gauche : 2 huttes. Par l’entrebâillure de la porte d’une d’entre elles, j’aperçois une femme qui s’affaire autour d’un feu creusé au milieu de ce qui semble être l’unique pièce, en sol de terre battue. À notre droite : la route et d’autres cabanes alignées. Au dessus de nous : des étoiles, une infinité d’étoiles qui brillent sans avarice. L’atmosphère est sacrée…et fragile.
Nous avons fait irruption dans un quotidien rythmé par le familier, le connu. On le sent très fort. Même si chacun s’évertue à ne pas le montrer. Chacun observe l’Autre sous les fils de Lune tissée qu’il s’agit de ne pas rompre. La rencontre, ici, se produit avec distance et s’observe avec l’œil intérieur. Il y a là quelque chose de magique, et même d’ancestral, tellement déroutant que l’instinct est ardemment mis à contribution. On est là et, pourtant, on sent qu’il s’agit d’Etre le moins possible. Il ne faudrait pourtant pas rater la rencontre…Quoi de mieux pour le lien que d’aller boire un pot ?
Il y a un seul boui-boui où nous nous servons de deux canettes pendant qu’on nous plante une bougie dans un verre car la lumière de l’unique lampe tressaille, faiblit. Ailleurs, rien d’allumé non plus. À l’exception de quelques feux allumés, le village est plongé dans le noir. Et nous sommes les seuls à boire quelque chose dans la nuit noire et brillante.
Nous nous faisons réveiller dés 5 heures du matin par les coqs. Puis…par les rires et les pas traînants des petits curieux qui rôdent autour du camion. Nous ouvrons les portes, nous disons bonjour, nous prenons le petit-déjeuner en saluant bien souvent. Au cours de 10 mois de voyage, combien de fois n’a-t-on vécu cela…
Un lien bien que délicat est tissé, je m’autorise donc à prendre quelques photos.
Jusqu’à Phonsavan, nous traversons cette fois des plaines, merveilleuses, paisibles, généreuses en conifères, en terre rouge et désertes à l’exception des buffles gris ou blancs, des vachettes et de leur progéniture. Nous décidons de nous arrêter dans cette ville pour manger un bout et aller sur internet et, par hasard, nous découvrons que nous sommes tout prêts de la Plaine des Jarres. Alors que nous discutons de faire un arrêt pour visiter ces lieux, nous rencontrons Elisa et Vanessa, deux françaises, avec qui nous allons partager, au cours de ce voyage au Laos, bien des chouettes moments.
Nous allons visiter la Plaine des Jarres en compagnie des deux sœurs.
Il s’agit d’un mystérieux plateau de 1000km², à 1000m d’altitude, comptant environ 460 grandes jarres d’origine inconnue, taillées dans la pierre ou le granit, mais prouvant l’existence d’une civilisation à cette époque.
Vieilles de plusieurs millénaires, ces jarres auraient servi soit de sarcophage, soit de récipients pour la fermentation du vin ou la conservation du riz. Néanmoins, les scientifiques penchent plutôt pour l’hypothèse des urnes funéraires.
Le 1er plateau que nous visitons est plutôt aride et brûle sous le soleil. Il y a également une grotte où on vénère un Esprit et, si je me souviens bien, les gens disent que c’est cet Esprit qui a préservé le site des bombardements américains même si, à un endroit donné on peut estimer la grandeur meurtrière d’un bombe à la vue du cratère qu’elle a provoqué…
Ah oui, d’ailleurs, toute promenade au Laos impose que l’on ne s’écarte pas des sentiers battus qui n’auraient pas encore été déminés…Les leaders ont beau changer, malheureusement, il y en a qui même des années après ne prennent toujours pas leurs responsabilités et on voit encore quantité de laotiens mutilés ce qui implique, en plus du désastre personnel que cela constitue, des centaines de familles privées d’un revenu/force de travail et accablées de frais médicaux qu’elles ne peuvent supporter, sans parler des enfants qui explosent encore sur les mines
Après la visite d’un stupa et celle d’un temple abritant un bouddha à la drôle d’allure (lui aussi victime des américains), nous prenons une route défoncée - un peu tard peut-être, vu que le soleil menace de se coucher à tout instant - vers la seconde plaine des jarres.
Le ciel est encore gorgé de cette couleur magnifique qui met de la lumière partout ici bas.
Arrivés sur le site exactement quand le soleil se couchait, j’ai eu un vrai coup de foudre pour l’endroit. S’il y a un endroit que l’on pourrait qualifier de Paradis sur terre, c’est bien celui-là. Un endroit où l’on sent Dieu si proche de nous, petits humains…Parce que c’est un endroit où l’on se sent petit et grand à la fois, petit devant l’ampleur de cette Beauté et grands parce qu’on nous en fait don.
Les jarres millénaires, plaines et collines à perte de vue, une brise fraîche après la petite montée, des petits arbres (arrrggghhh, je m’en veux de ne pas être botaniste et connaître leurs noms !!) au tronc magnifique, aux racines grandiloquentes, ciel rouge, bleu, orange, violet, jaune…Lumière de Paix en toute chose, du ciel jusqu’à la petite feuille qui plie légèrement sous la brise, lumière de Paix autour de nous, au dessus de nous, en nous.
Le Laos est vraiment un pays arc-en-ciel. Un pont entre deux mondes qui se traverse dans la lumière. Si proche du ciel, si beau vu de la terre.
Le soir, les filles nous ont amenés dans un restaurant où elles savaient qu’on mangeait bien. Ce fut le cas. Au bord du fleuve.
Là, à Phonsavan, nous sommes à 30 km environ de la frontière vietnamienne. Cette communauté y est donc assez présente.
Nous préparons notre passage frontière car nous savons que seulement environ 5% des « overlanders » (personnes voyageant en voiture au même titre que, dans le jargon voyage, « backpackers » est le terme désignant ceux qui voyagent « sac-à-dos »…) parviennent à rentrer au Vietnam avec leur véhicule…le Vietnam ne reconnaissant pas le permis de conduire international ni le carnet de passage en douane… Il y en a qui ont réussi à rentrer en écrivant une lettre stipulant qu’ils seraient sortis à telle date, tel endroit…D’autres, ont du perdre une semaine de leur visa afin de se rendre (sans le véhicule) à la capitale, remplir un formulaire, attendre 4 jours un tampon, revenir à la frontière…D’autres, en optant pour cette dernière stratégie, en revenant à la frontière se sont quand même vus refuser l’entrée…Les plus chanceux, n’ont eu besoin de rien faire, ils sont juste passés. Nous optons pour la première stratégie, celle de la lettre. Mais nous ne pouvons pas la faire traduire en vietnamien directement du français ou de l’anglais car les vietnamiens, ici, ne parlent pas ces langues. Il faut donc d’abord trouver un traducteur qui puisse la traduire de l’anglais en laotien, puis trouver un vietnamien (de préférence aussi un traducteur agrée, mais ce sera difficile…) qui la traduise en vietnamien. La première étape fut assez facile à réaliser - même par un traducteur officiel -, la seconde, par contre, impossible. Malgré la quantité de boutiques, de restaurants, de quincailleries vietnamiens, personne qui ne puisse (veuille ?) nous le faire ! « No, no, no », c’est la réponse qu’on reçoit dans notre porte-à-porte et on essaye de nous éviter avant même que l’on ouvre la bouche. Comme lorsque vous étiez à l’école, que le professeur se demande qui il va interroger dans la classe et que vous avez l’impression que si vous regardez ailleurs ou que si vous vous cachez derrière votre crayon, vous allez certainement devenir invisible. Décidément, le sud-est asiatique semble être la contrée du « No ». Peut-être cela nous choque-t-il après le Moyen-Orient où, dans tous les cas, qu’on comprenne ce que vous voulez ou pas, on répond sans hésitation, yeux dans les yeux et avec emphase : « Yes, yes !! ».
Donc, après 1 ou 2 heures de recherche, nous prenons la route vers la frontière sans la traduction vietnamienne de la lettre en laotien.
Route super belle, des vallées vertes de plus en plus gonflées, denses…
Néanmoins, grosse, grosse frayeur. Soudain,sur la route abrupte et sinueuse, une nappe d'essence… Vinh n’arrive plus à contrôler la trajectoire du véhicule, moi, je suis justement dans une position acrobatique où j’essaye de prendre quelque chose à l’arrière à partir de mon siège avant… Alors que j’essaye de regagner ma place sans savoir quelle mouche a piqué Vinh et en me préparant à lui passer un savon, heureusement, il parvient, à force de coups de volants, à maîtriser la trajectoire du camion et à éviter que d’une part, on tombe dans le ravin et d’autre part, qu’on aille s’écraser contre la roche.
Nous avons passé la nuit à 7 km de la frontière dans un village glauque et boueux où nous avons encore essayé de trouver quelqu’un qui nous traduise la lettre, sans succès…
Le lendemain matin, notre cœur bat un petit peu plus fort : nous sommes à quelques mètres de la « destination finale » de notre épopée. Moi, à quelques instants de découvrir un peu plus à propos de la personne qui m’accompagne…
On prévient les officiels laotiens qu’avant qu’on nous tamponne le cachet de sortie sur notre visa laotien on préfère aller s’assurer qu’on pourra rentrer avec la voiture au Vietnam. Ils acceptent que l’on se rende d’abord à la douane vietnamienne avant d’être effectivement sortis du Laos. A la douane vietnamienne, nous essayons tant bien que mal d’expliquer notre cas et cela prend un peu de temps – mais moins que ce que nous pensions – avant que l’on nous amène chez le chef – en l’occurrence une jeune femme sympathique en qui nous avons tout de suite déposé quelques espoirs…
Je passe les détails et les difficultés de communication ; cependant,la jeune femme était véritablement de bonne volonté et nous a dit que l’on pouvait passer la frontière avec notre voiture, qu’elle nous ferait un papier officiel. Tout contents, sautillants, pris d’un nouveau feu, nous courons à la frontière laotienne faire tamponner notre sortie sur les passeports. L’officiel avait la main levée près à presser le cachet lorsque la commandante vietnamienne accoure toute essoufflée et nous signifie, avec des signes, de ne pas faire tamponner nos passeports. Elle s’est finalement rendue compte que la Belgique n’avait pas signé le protocole avec le Vietnam en ce qui concerne l’importation temporaire de ses véhicules. On ne pourra donc pas rentrer en camion. Elle est vraiment, et sincèrement, désolée.
Nous avions bien-sûr déjà envisagé cette possibilité et l’alternative de laisser le camion à la frontière, de voyager sac-à-dos au Vietnam et de venir ensuite récupérer notre véhicule… Cependant, après avoir essuyé le refus d’entrer, un dernier calcul nous a permis de réaliser que cette alternative nous ferait perdre beaucoup de temps et le moment de rentrer approche à grands pas…
Certes, on ne fera pas le Vietnam en camion, mais on aura davantage de temps pour le Laos, le Cambodge et même le Vietnam si on roule maintenant vers Bangkok, qu’on le fait « shipper » (mettre sur un bateau) vers la Belgique et que pendant qu’il est en croisière, nous, on fait le Vietnam.
Sur le retour vers Phonsavan, un camion veut absolument dépasser une moto alors qu’il voit que nous arrivons en sens contraire. Nous serrons, il serre de son côté, il fait perdre son équilibre à la moto qui perd le contrôle et tombe. Nous faisons demi-tour et allons voir s’il ne faut pas de l’aide. La jeune fille qui conduisait la moto est très amochée. Elle tient debout mais son pied, sa cheville et sa anche sont ouverts. La femme du camionneur avait déjà arraché et mâché les feuilles d’un arbuste et couvert la plaie d’un cataplasme. Nous sortons notre trousse de premiers soins qui, heureusement, n’a jamais servi. Il faut absolument bander les blessures car on voit les os et ça va bientôt se mettre à saigner. Mais avant, il faut laver la plaie à l’eau (de bouteille), mais ça, l'accidentée et son amie n’acceptent pas et veulent plutôt du mercurocrome… Nous leur demandons s’il faut l’amener à l’hôpital, cependant elles refusent, elles vont rentrer chez elles, dans le village d’à côté, avec le camionneur…
Bon, vu que nous avons un peu plus de temps au Laos, on décide de descendre vers Vientiane (la capitale) par une route secondaire. Au début, on passe encore les ponts de fortune ou d’autres s’échinent aussi.
Après une heure d’angoisse suivant dangereusement le bord du ravin sur des montées abruptes, glissantes, boueuses sous une pluie diluvienne, sans âme qui vive aux alentours et sans voir d’autres passer par là, nous décidons de rebrousser chemin. Opération annulée.
Le lendemain, sur la route officielle, petite baignade dans une source chaude…
La route de Vangviang est gardée par une horde de monts dentelés, comme si le géant (je l’ai souvent évoqué…) avait mordu dessus. Aux pieds de ces monts, des rizières. Les coiffant, des nuages blancs vaporeux.
Nous n’avions pas prévu de nous arrêter à Vangviang, néanmoins devant un tel paysage nous commençons à y réfléchir de plus près.
Sur la route unique de la ville, depuis le trottoir, on nous fait signe. On les reconnaît, ce sont Vanessa et Elisa.
On s’arrêtera donc à VangViang et on bivouaquera devant la ferme écologique où logent les filles.
Touristiquement, VangViang est surtout connue – malheureusement – pour le tubbing (descente du Mékong dans une bouée) et l’excessive consommation d’alcool et de drogues qui y a lieu.
Je dis malheureusement car ces activités ne profitent pas à tout le monde, au contraire. Par exemple, dans le cas de cette ferme proposant ce qu’on appelle aujourd’hui de « l’écotourisme », cela a mis à mal beaucoup de ses activités (qui profitaient tant aux touristes qu’à la communauté locale – c’est bien le but de l’écotourisme). C’est le cas de l’élevage des vers à soie qui ont commencé à mourir à cause du bruit assourdissant – que certains appellent musique – provenant des stands de tubbing qui se sont installés tout près. La vie à la ferme, en général, en a pâtit également et les touristes s’y font de moins en moins nombreux n’y trouvant pas le calme recherché. Aussi, d’après les dires du propriétaire, la forte circulation de drogues et d’alcool constitue un grave danger pour les enfants et les jeunes de VangViang qui sont de plus en plus nombreux à y succomber.
Mais on y a bien mangé, à la ferme écologique, et nous y avons partagé quelques chouettes moments avec nos amies françaises si ce n’était la présence d’une grande fille du genre chef scout qui se croyait maître de l’ordre et de la moral après une semaine de volontariat à traire des chèvres et donner des cours d’anglais aux petits laotiens mal lotis. Cela aussi - l’orgueil et l’inconscience –, bien que moins évidentes, peuvent constituer une menace pour des initiatives sous-tendues par une intention et motivation justes. Je pense qu’avant de s’engager dans de telles initiatives, il est impératif de se questionner soi même, en âme et conscience, sur ses propres motivations… À ce propos, Nicolas Bouvier (dans L’Usage du monde que je ne me fatiguerai pas de citer) dit aussi que «…l’exercice de la bienfaisance demande infiniment de tact et d’humilité… ». À méditer…
Avec les filles, le premier jour, nous nous sommes mis en quête d’une fameuse grotte où soi-disant il y aurait un lagon intérieur dans lequel on pouvait nager. Sur le chemin, nous avons profité pour visiter une grotte qui se présentait à nous. Ah comme c’est étrange, juste devant il y a aussi un lagon bleu… mais nous attendions tous de parvenir à LA grotte ou l’on pouvait nager à l’intérieur sans savoir - on l’apprendra plus tard – que la seule grotte avec un lagon bleu c’était celle où nous étions arrivés plus ou moins par hasard…
La grotte est en hauteur, il faut donc entamer une assez longue montée d’escaliers.
Avec ce temps lourd et humide, l’intérieur de la grotte est une aubaine. Nous parcourons donc ses sinueux et labyrinthiques couloirs calcaires dans lesquels sont sculptées des drôles de formes froides et humides qui s’élèvent comme des gouttes… ou comme des monstres gluants (cela dépend de comme on le voit ce jour là)… Il faut parfois marcher dans l’eau et on entend seulement nos pas ou un bruit d’eau qui goutte ou…Vinh qui glisse (décidément ces tongues ne lui réussissent pas).
En sortant de la grotte, il faudra attendre un moment avant de descendre : il pleut encore.
Nous sommes toujours à la recherche de la grotte où il y a le paradisiaque lagon intérieur où on compte jouer dans les eaux claires. Cependant, pour le moment on en restera à jouer… dans la boue. En effet, le chemin qu’il s’agit de suivre nous envoie dans les rizières, le problème est que, comme il n’arrête pas de pleuvoir, les chemins y sont boueux, glissants et il faut parfois franchir des obstacles.
Nous n’y évoluons pas certes aussi bien que les petites filles qu’y chassent des grenouilles ou des crabes.
Nous décidons - presque à l’unanimité - de laisser tomber la grotte tant recherchée (le soleil ne tardera de toute façon pas à se coucher) et de poursuivre la promenade sur la terre ferme (même si on aura constaté que pendant la mousson il n’y a pas de sol qui le soit, et on finit nos journées avec de la boue jusque dans les cheveux).
Le soleil se couche et une nuit bleuettée, profonde, nous couvre enfin en faisant briller l’eau des rizières.
En rentrant à la ferme écologique, nous nous sommes arrêtés pour que les filles vérifient des horaires de bus. Un gars s’approche soudainement - un européen - et se dépêche de regarder la plaque d’immatriculation. J’ouvre la vitre et il s’écrie « Vinh ??! » (je me suis laissée pousser la barbe). C’est Mathieu, un voyageur à moto avec qui nous avions échangé quelques mails à propos d’une question posée dans un forum. Depuis quelques semaines il s'est trouvé un compagnon de voyage, Marco, roumain, sourd-muet. Les 2 montent à l’arrière, rejoindre nos 2 amies et nous nous en allons manger et mieux faire connaissance à la ferme.
Le lendemain, je me suis laissée convaincre pour une balade en vélo qui nous mène en exploration des grottes et des villages autour de VangVieng.
Après 5 kilomètres environ, on doit laisser les vélos et marcher 1 km jusqu’à une grotte recelant un grand Bouddha pâle à l’intérieur. Comme souvent, on se voit attribuer un guide implicitement. Cette fois, c’ets une jeune fille de 14 ans. C’est toujours ennuyant parce qu’ils n’attendent pas que vous leur demandiez ce service et après on vous demande toujours plus que ce que vous avez envie de donner, néanmoins cette fois cela s’est avéré bien utile. Ce n’était certainement pas la plus difficile des grottes, mais nous n’aurions jamais trouvé le Bouddha pâle sans la guide puisqu'il a fallu escalader des roches super glissantes, pointues, coupantes, se glisser dans des trous de la taille d’un sac-à-dos, suivre des couloirs plongés dans une obscurité glaçante…
La promenade, sous un ciel bleu, jusqu’à cette grotte valait elle aussi l’effort d’avoir pris un vélo ! Marche sur des cailloux blancs au son d’une petite rivière claire qui nous suivait en glissant sur des brillants rochers plats, des arbres hauts, des collines vertes, une petite fille seule à jouer dans l’eau qui a finit de nous convaincre de nous aussi savourer cette fraîcheur agréable comme un cadeau.
La dernière grotte que nous fîmes était grandiose. Un grand espace noir et pointu, aux parois parfois dévorées par une mousse humide verte phosphorescente, rempli de formes abstraites, de cavités insondables. Après avoir parcouru - ou escaladé - les premiers mètres glissants, on arrive dans ce vaste lieu où se trouve allongé sur sa couche, attendant la mort, un Bouddha doré tout en grâce et rêve.
Les autres veulent parcourir les couloirs attenants. Moi, je trouve que les premiers mètres étaient déjà très risqués - sur la roche pointue et humide avec des slash -, et ne sens pas trop l’aventure. Je reste donc en compagnie de ce gracieux Bouddha et j’assiste, avec horreur, à la chute d’un japonais sur une des plus hautes parois. C’est de l’escalade et le mec, il est a des slashs aussi… Heureusement, le lieu semble sanctifié et c’est plus peur que de mal, il se rattrape sur une saillance arrondie. Je commence à compter les minutes avant que les autres arrivent… Pourvu que tout aille bien. Ce fut le cas.
Nous nous disons au revoir : Elisa et Vanessa vont à Paksé, nous à Vientiane.
Nous ne nous attardons pas à Vientiane, la ville ne comporte pas beaucoup de points d’intérêt, cependant avec ses petites maisons coloniales françaises elle n’est pas dépourvue de charme.
Anecdote : alors qu’on mordait sur un hamburger à un stand de rue, qui ne voit-on pas ? Pedro, le portugais que nous avons connu au Regal (chez Malik), à Lahore, au Pakistan.
On pense peut-être s’arrêter à Savannaket, on y fera seulement une halte pour dormir. La ville en elle-même n’est pas très jolie, intéressant seulement comment dans cette région le cœur de l’activité de la ville se concentre - ou mieux, s’aligne le long du fleuve Mékong. La route est très agréable, encore, avec les paysans et leurs troupeaux de vaches, les rizières, les nuages bas.
On peut déjà sentir la différence d’avec le Nord : le paysage est plus plat, il y a moins de hameaux au bord des routes, moins de fontaines où se lavent les gens, moins – mais encore ! – d’animaux qui traversent la route.
On arrive à Paksé un soir et qui est-ce qu’on retrouve attablés à prendre la fraîcheur du soir ? Mathieu et les deux sœurs !
Ce soir là, on a bivouaqué devant une banque et on s’est fait jeter le lendemain matin. Mais ce qui m'a le plus dérangée c’est que des gens de la banque sont sortis pour assister et, comme nous avions les portes arrières entrouvertes, pour gratter un peu d’intimité. En fait, de ça nous avons l’habitude – allez-vous me dire. Et bien moi je vous répondrai « non, en tout cas pas avec des gens qui n’ont pas envie d’échanger ». Je suis peut-être un peu dure – et peu anthropologue – en disant qu’ils n’ont pas envie… En vérité, je ne sais pas vraiment ce qui motive l’attitude, en général, extrêmement inhibée, peu secourable aussi (et presque à la limite de ce que nous appelons « impoli ») à laquelle nous sommes confrontés dans la plupart des pays sud est asiatiques que nous avons parcourus… Je ne sais pas si c’est de la timidité ou des codes de vie - et même peut-être de bienséance - que j’ignore et n’arrive pas à percer… Que ce soit l’un ou l’autre ce que je n’arrive pas à comprendre - et j’avoue, à accepter – c’est que cette inhibition disparaisse complètement quand il s’agit de venir regarder à l’intérieur de notre camion…(parfois lorsque nous mangeons ou même quand nous nous sommes mis dans un coin un peu caché exprès…) et sans même, parfois, nous saluer - en fait, en semblant ignorer tout à fait notre existence et/ou l’envie qu’on aurait, ou pas, qu’on nous passe, nous et notre maison, au peigne fin.
En allant visiter un temple, le Vat Phu, perdu dans un mont sauvage on passe des villages dont les maisons sont à moitié immergées dans l’eau. Le camion aussi doit s’engager dans des parties complètement inondées… et nous ne connaissons pas souvent la véritable profondeur de la « flaque ». C’est la saison des pluies. Alors qu’on hurlerait de voir notre maison plongée dans l’eau, cela ne semble pas décontenancer les villageois qui pêchent sur la route, les gamins qui chassent des grenouilles, des pêcheurs qui doivent alors amener leur barque moins loin. Le fleuve qui vient sur la route, c’est comme si votre repas s’était rapproché de vous. C’est peut-être un préjugé, je ne connais rien de l’affliction d’une famille touchée par l’inondation, mais j’ai l’impression que ce peuple a appris – souvent peut-être à ses dépens – à faire fructifier les aléas. De la petite rosée de bambou qui sert à acheminer l’eau de source, le cataplasme fait à partir des feuilles d’un arbuste tout près, jusqu’à la maison aux esprits tout en paille, petits bâtons et fleurs, il y a une exploitation créative de son environnement, des surprises qu’il peut recéler, de la Vie.
Le Vat Phu est un des plus jolis temples qu’on aie vus. Il s’agit d’un temple Hindou pré-angkorien, d’architecture Khmère, et situé au pied d’une colline. Le sommet de celle-ci a été identifié autrefois au « linga », le symbole phallique de Shiva ce qui a auréolé la colline de la réputation d’être sacrée. La source qui coule au pied du mont fait probablement aussi partie des raisons pour lesquelles les Shivaïstes de l’époque ont décidé de construire un sanctuaire à cet endroit.
Le marché de Paksé c’est un gigantesque étalage bariolé et odorant, jusque à l’écœurement parfois, qui s’accommode de la boue… Mathieu, le français, - qui, détail sensiblement important, a voyagé en Inde pendant 3 mois - trouve le marché de Paksé « hardcore »… Je suis étonnée de moi-même, je n’en ai pas été aussi ébranlée. Peut-être les marchés pakistanais sont-ils plus brutaux, en termes d’odeurs et de, disons, état de pourrissement des denrées, que ne le sont les marchés indiens pourtant déjà réputés à ce propos…
Ah oui, à Paksé, nous avons quelques visites inopinées dans et sur le camion. Des petits singes qui s’évertuent à grimper partout et qui n’hésitent pas à venir s’installer chez nous…
Nous partons de Paksé pour une visite du plateau des Boloven, très réputé pour ses plantations de café.
Petit arrêt à l’impressionnante cascade de Tad Champi.
Après une promenade autour de la cascade de Tad Yuang, le tenancier d’un petit restaurant installé dans les plantations nous propose une visite des lieux (gratuite !), en français en plus. Il a vécu plus de 30 ans en France et après le décès de son épouse victime d’un cancer, il est revenu dans son pays natal pour se reconstruire. Aujourd’hui, il tient une ferme et plantation ainsi qu’un restaurant écologiques et bénéfiques à la communauté locale qu’il forme et emploie. Il est en train de bâtir une auberge. Il nous a expliqué, et montré, la différence entre les différentes sortes d’arbustes à café : l’arbusier, l’arabica, le français… et les différentes plantes, fruits ou épices dotés, pour certains d’entre eux, de vertus médicinales.
Sur place il nous a offert du thé produit dans sa plantation et des fruits grillés. Un peu de chaleur et d’hospitalité nous ont fait du bien et nous avons beaucoup appris.
Nous suivons maintenant, à l’heure où le soleil se couche, une longue route qui nous mènera vers une des parties du Laos la moins peuplée et la plus pauvre.
Mais, bien-sûr, le pays arc-en-ciel n’est jamais pauvre en couleurs et nous sommes encore gratifiés d’un splendide coucher de soleil sur une route arrosée par la pluie.
Le lendemain, à Tad Lo, nous nous abandonnons un peu à la contemplation de la vie du village. Enfants qui chassent et jouent dans l’eau, familles qui se lavent dans la rivière, très très vieilles femmes accroupies qui fument des gros cigares roulés avec une vraie feuille de tabac (je suppose), très très vieilles femmes qui portent leur petit enfant en bandoulière sur leur dos maigrelet, commandants galonnés - très vieux eux aussi - qui sillonnent la route ensoleillée d’un air circonspect de vieux singe à qui on n’apprend pas à faire la grimace en fumant une de ses grosses cigarettes, des poules et des coqs qui s’affolent, des hommes mutilés d’une jambe se reposant dans un hamac, des enfants à moitié nus qui nous saluent à fort cris depuis leur maison, des familles occupées à construire des sortes de harpons pour pêcher, des femmes qui tamisent le riz, une autre avec un gonflement au cou qui nous explique son mal en ayant l’air de s’excuser, des sentiers de terre entre les maisons sur pilotis sur lesquels nous évoluons avec attention et hésitation car nous y sommes en plein dans la vie des gens… des petits cochons, parfois des très vieux, roses ou bruns, qui, le sourire collé sur la gueule, ont l’air de faire un rêve heureux dont même les coqs sont jaloux…
Puis en prenant la route à nouveau, après quelques kilomètres, un panneau nous indique la direction d’un temple, vers une route de terre. On la prend. On s’arrête après 10 kilomètres car tout le sentier est inondé. Des personnes se trouvant là nous font comprendre qu’il sera impossible d’atteindre le temple avec le camion car le niveau de l’eau monte jusqu’à la ceinture !
Nous décidons donc d’y aller à pied - ou à la nage s’il le faut ! – et la promenade, plus que le temple, valait vraiment la peine - qui donc, était loin d’en être une, de peine, (à part peut-être le fait qu’il faut enlever les tongues à cause de l’effet ventouse dans la boue qui vous empêche d’avancer et qu’il faut dépasser le dégoût premier que vous inspire la sensation de vos pieds nus dans cette…humm…substance collante, molle et complètement inconnue et invisible).
Et ce fût là l'apothéose de la beauté, dans un monde semi-aquatique peuplé de nagas et de nymphes tonnant un chant suave tout de lumière, de bleus, violets et rouge...Nos derniers jours là-haut, sur un pont entre la terre qui se donne et un ciel plein de mystères, au pays arc-en-ciel...